Publié le Jeudi 13 avril 2017 à 10h31.

« C’est le droit le plus élémentaire à se nourrir, à vivre, qui est mis en cause »

Entretien. Malika Zediri est une des animatrices de l’Association pour l’emploi, l’information et la solidarité des chômeurs et des travailleurs précaires (APEIS).

Dans les débats de l’élection présidentielle, on parle peu du chômage en dehors du rappel des chiffres. Quelle en est est la réalité aujourd’hui ?

Le premier constat, c’est que le monde du chômage a beaucoup changé ces dernières années. La situation des jeunes, des femmes, des hommes, s’est considérablement dégradée. Une grande partie passe du chômage aux boulots précaires, revient au chômage, et en arrive à cumuler avec l’allocation spécifique de solidarité (ASS). Les situations se sont diversifiées mais tout le monde est fauché, avec moins d’un chômeur/euse sur deux indemnisé ! Si on prend en compte tous les chômeurs/euses, on est sur une moyenne de 400 euros par mois d’allocation. Ça plombe les gens dans la pauvreté et dès que ça dure un peu, on ne s’en sort plus. Ce sont des centaines de milliers de gens, dont ceux qu’on appelle les travailleurs/euses pauvres, qui doivent vivre avec moins que le Smic. On s’installe dans une relation à la vie quotidienne catastrophique.

Le chômage, c’est aussi des difficultés dans l’accès au logement ?

Le prix des loyers n’a jamais cessé d’augmenter, et l’allocation personnalisée au logement (APL) n’a pas du tout suivi. À Paris, on peut toucher 1 300 euros et avoir facilement 1 200 euros de loyer à payer chaque mois. D’où la multiplication des expulsions locatives de chômeurs et une explosion des dettes de loyers, recensées par exemple par le DAL.

Et l’accès aux soins ?

Il y a, comme pour toutes et tous, le coût des soins de « base » qui augmente. Mais quand on parle des soins « complémentaires » comme le dentaire, l’ophtalmo, le dermato, le gynéco, on entre dans le domaine de la discrimination ouverte. Si tu es au RSA ou avec la CMU, tu n’as pas de rendez-vous. Ça affiche complet1 !

Les femmes en situation de monoparentalité sont particulièrement touchées ?

Avec l’augmentation des familles monoparentales, le plus souvent des femmes, les périodes de chômage font tomber dans de véritables trappes à pauvreté, y compris parmi les salariéEs diplômés. 40 % de pensions alimentaires ne seraient pas versées, pour l’essentiel par les pères. L’endettement dû à la situation de monoparentalité vient se rajouter à celui dû aux difficultés à trouver un emploi, surtout à temps complet2.

Quel positionnement des chômeurs et chômeuses par rapport à l’élection présidentielle ?

Le positionnement renvoie d’abord à l’exclusion, à la situation de deux mondes qui ne se croisent plus. Même si on n’entend plus, comme en 2012 un Sarkozy haineux, la « bienveillance » de Macron ne répond pas au problème. Du coup, si l’idée du vote Mélenchon est présent, c’est l’abstention, la non-inscription, qui sont largement majoritaires. C’est la colère, le rejet qui dominent.

Alors, il faut aller vers la reconstruction d’initiatives collectives...

On est dans une situation de plus en plus dramatique. Maintenir le RSA au niveau actuel relève de la punition collective, de l’humiliation permanente.

Les associations se sentent démunies y compris devant les difficultés d’accès au droit. La dématérialisation qui sévit à Pôle emploi et dans tous les services publics a pour conséquence de supprimer tout interlocuteur/trice, y compris pour des actions collectives. En cas de problème administratif, il faut parfois deux ou trois mois pour que cela soit résolu. Le délai de paiement de la prime d’activité (sur fonds publics !) est de cinq mois pour toucher les 150 euros qui vont compléter les 450 euros de RSA. La vie des gens se structure autour de la survie. Dans de telles situations, c’est le droit le plus élémentaire à se nourrir, à vivre, qui est mis en cause. L’idée de se battre pour ces droits est à remettre au goût du jour.

Propos recueillis par Robert Pelletier

 

  • 1. Un quart des médecins, 32 % des dentistes, 31 % des ophtalmologues et 40 % des gynécologues de secteur 2 à honoraires libres refusent des malades « CMU », selon Fonds CMU, « Les refus de soins : le testing 2009 »
  • 2. Seule une mère de famille monoparentale qui travaille sur deux est à temps complet.