Publié le Mercredi 30 septembre 2009 à 18h59.

Nous ne payerons pas leur crise ! Les propositions du NPA ...(par Samuel Johsua et Basile Pot)

Gouvernements, experts, journalistes, partis de droite et de gauche : sous l’impact de la crise du capitalisme, tout ce monde y va de ses propositions pour sauver le système. Nul ne sait comment et à quel prix. A moins que le système ne soit pas du tout sauvé, si les mobilisations sociales et populaires imposent enfin une issue anticapitaliste à la crise. Mais une chose est sûre : nos propositions ne sont pas guidées par une volonté de « sauvetage » d’un système dont la nocivité profonde est sublimée par la crise. 

Nos objectifs sont : empêcher que les travailleurs et les peuples supportent le prix de la crise, ce qui suppose de freiner les folies spéculatives internes au système financier et de prendre des mesures en faveur des salaires, de l’emploi, des services publics ; préparer dans les têtes et dans les faits la perspective d’un autre système que le système capitaliste. 

Freiner les folies spéculatives

On ne peut qu’être frappé par la timidité des premières dispositions prises par les Etats-Unis et l’Union européenne (en fait par les divers gouvernements de l’Union), voire par la Chine, face à la plus grave crise de l’après-guerre. Tout se passe comme si on espérait qu’en faisant le dos rond, en soutenant à coups de dizaines de milliards de fonds publics un système financier inchangé, les choses finiraient bien par revenir à la normale. Malgré les rodomontades de Sarkozy ou les minauderies d’Obama, la rupture avec le néo-libéralisme n’est pas engagée et même les préceptes de type keynésien sont loin d’être dominants.

Or, du point de vue des capitalistes eux-mêmes, stopper ou même freiner leur crise est impossible sans remettre en cause les déréglementations sans bornes des marchés financiers engagées depuis les années 1980. Aucun des mécanismes techniques ayant joué un rôle de déclencheur immédiat dans la crise américaine n’ont été remis en cause : ni la titrisation (les dettes contractées par un particulier négociées ensuite sans fin sur le marché boursier), ni les crédits hypothécaires (fondés sur une valeur supposée de l’habitation et défendus par Sarkozy pendant la campagne présidentielle), ni les ventes à pertes, pas plus les fonds spéculatifs (« hedge funds ») et, évidemment, surtout pas les paradis fiscaux.

Freiner cette économie de casino devrait être une mesure immédiate de salut public. Rien n’empêche, en principe, des sections de la sociale-démocratie ou même des capitalistes keynésiens de le réclamer. Force est de constater que leur soumission à l’idéologie du moment est telle, qu’ils ne s’engagent même pas sur ce minimum. Pourtant, ceci relève en partie de la volonté politique, et exige en fait peu de modifications institutionnelles. Il suffirait par exemple que les pays les plus puissants rompent leurs relations avec les banques qui maintiennent de fait « le secret bancaire » sur la spéculation pour que les paradis fiscaux disparaissent. Mais voilà, parmi ceux-ci, il y a, au premier chef, le Luxembourg ou la City de Londres où tous les grands groupes capitalistes français disposent de comptes divers et variés…

En pratique, s’attaquer un peu au système financier, c’est le déséquilibrer beaucoup, et il semble bien que seuls les anticapitalistes puissent en réalité l’assumer. Les premières mesures à discuter seraient pourtant simples : supprimer tous les mécanismes de sur-spéculation (comme les ventes à perte) et rompre avec les paradis fiscaux. Le plus immédiatement efficace serait de réglementer les échanges purement financiers (sur les actions et obligations comme sur les monnaies) par une taxation (selon des experts acquis au capitalisme, mais inquiets, il suffirait d’une taxe de 1 %, voire moins). Rien n’empêche, si cela est insuffisant, d’aller jusqu’à la fermeture temporaire ou de longue durée des Bourses. La spéculation serait empêchée à la racine.

La logique de ces dispositions serait d’en revenir à une réglementation forte des échanges, supposant l’existence de l’équivalent d’une monnaie universelle (ou de taux fixes entre les monnaies), c’est-à-dire le retour au mécanisme de Bretton Woods installé après la guerre, et dont la suppression a accéléré les évolutions néo-libérales. Cette revendication est dans tous les programmes sociaux-démocrates.

Mais on peut douter de leur volonté réelle de se battre pour y parvenir, tant cela nécessiterait de s’appuyer sur des lames de fond dans la mobilisation des peuples, qui (et cela les inquiète) n’auraient alors aucune raison de s’arrêter à des changements de ce type, bien en deçà des exigences du moment.  

Ne pas payer leur crise 

Nos solutions ne sont pas, à coups de milliards, la « version gauche » d’une sortie de crise, mais le seul moyen pour que la population ne paie pas les pots cassés de cette crise globale du système. Par ailleurs, nos principales revendications sont antérieures à la crise : nous faisons les frais de ce système d’inégalités depuis qu’il existe ! Il faut impérativement revenir sur l'offensive libérale initiée dans les années 1980, qui a conduit à la succession de crises ayant secoué le système, dont l’actuelle, de loin la plus grave. Cela concerne le contrat de travail, les exonérations systématiques de cotisations pour les capitalistes – dont on devrait pourtant connaître les effets nuls sur l’emploi après tant d’années - la défense des retraites, le retour à un impôt sur les sociétés tel qu’il était il y n’y a pas si longtemps (jusqu’en 85 l’IS était de 50 %).

La critique qui nous est faite ne porte pas sur le coût de ces mesures, puisqu’il s’agit de purs transferts et du renforcement du salariat face au capital. On nous oppose que, par définition, leur réalisation serait impossible dans une économie ouverte et concurrentielle. On tourne en rond : évidemment, dès lors qu’on accepte ce cadre, plus rien n’est possible. Le problème n’est donc pas économique, mais politique. Cela revient à dire : « l’anticapitalisme ? Vous n’y pensez pas, les capitalistes ne voudront jamais ! ».

Mais nous n’avons pas vocation à proposer un énième plan de relance de l’économie pour sauver le capitalisme. Pour élaborer nos propositions, nous ne partons pas de ce qui serait « réaliste » dans les limites fixées par ce système, mais de ce qui nous semble aujourd’hui essentiel pour que le monde du travail dans son ensemble (salariés, retraités, chômeurs, précaires, jeunes, petits paysans, etc.) puisse vivre et non survivre. A travers nos revendications, nous démontrons que les moyens existent largement pour permettre à toutes et tous de vivre bien, à la condition de s'attaquer aux profits et à la propriété des grands moyens de production, c'est-à-dire à la logique même de ce système.

Ainsi, à nos yeux, ce n'est pas d’augmenter les salaires de 300 euros nets ou d’assurer qu’aucun revenu ne soit inférieur à 1 500 euros nets par mois en prenant sur les profits qui est « délirant », mais que 600 000 retraités vivent avec le minimum vieillesse, que des étudiants fassent la queue à la soupe populaire ou que des travailleurs soient obligés de dormir dans leurs voitures.

Ce n’est pas la gratuité des transports en commun qui serait ruineux, mais de continuer de verser à fonds perdus 32 milliards d’euros d'aides aux entreprises sous couvert de politique de l'emploi (afin que celles-ci puissent continuer à licencier en toute impunité !), que les niches fiscales s'élèvent à 73 milliards d'euros et permettent aux 100 000 ménages les plus fortunés de France de payer moins d'impôts, voire de ne pas en payer du tout. Ce qui est « ruineux » c'est le nouveau cadeau de 7,8 milliards d'euros aux patrons de l'automobile afin de les laisser continuer à arroser les actionnaires en faisant payer la note aux salariés !

Pour nous, ce qui est « irréaliste », c’est de ne pas remplacer un départ à la retraite sur deux dans la fonction publique, en laissant par exemple les hôpitaux se dégrader à vitesse grand V. Oui, nous réclamons l’embauche de 1 million de salariés dans les services publics. Ce serait possible si l’Etat ne remboursait pas les intérêts de la dette publique à des banques auxquelles il vient d’accorder des milliards en pagaille.

La mesure la plus significative est celle de l’interdiction des licenciements que nous proposons :

Interdire les licenciements 

La mesure la plus emblématique, et qui soulève l’ire des capitalistes est celle de l’interdiction des licenciements. Rappelons donc la nature de la proposition. Lorsqu’il s’agit d’entreprises qui réalisent des profits, ceux-ci seront diminués et cela ne coûtera pas un centime au budget public. Si elles annoncent des déficits, encore faut-il que ceux-ci soient réels, et non créés par des mouvements entre filiales de la même multinationale. Il en de même si le déficit concerne des sous-traitants (lesquels, la plupart du temps, ne dépendent que d’un seul gros donneur d’ordre). Mais pour vérifier que les entreprises sont ou pas bénéficiaires, cela suppose la transparence absolue des comptes, donc leur contrôle par les travailleurs et la fin de l’épaisse opacité de la gestion capitaliste. Une très grande partie de l’emploi salarié privé serait couvert par ces mesures.

Pour le reste, de ce qui nous est si souvent opposé (une petite entreprise de plomberie qui connaîtrait des difficultés) il faudrait combiner deux types de mesures. La première est une ré-orientation du crédit qui serait possible dans le cadre d’une banque unique socialisée, contrôlée par les travailleurs et les usagers. La seconde serait la constitution d’une quatrième branche de la Sécurité sociale pour couvrir ces risques, financée par le seul patronat. Si l'usine de Continental venait par exemple à fermer à Clairoix, c'est l'ensemble du tissu économique local qui en pâtirait (artisans, boulangers, etc.). Ainsi, au lieu de pertes réparties sur l’ensemble de la population, elles le seraient au sein du seul patronat.

Mais l'essentiel de la revendication pour l'interdiction des licenciements est qu'en s'en prenant au droit de propriété, elle remet directement en cause le pouvoir patronal.

De plus, le blocage des licenciements ne fait pas que coûter : moins de chômage c’est plus d’impôts, de cotisations patronales et salariales pour les caisses sociales.  

Pour sortir de la crise : sortir du capitalisme

La plupart des mesures décrites ci-dessus (sauf sans doute l’interdiction des licenciements) ne signerait finalement que le retour aux rapports de force capital/travail des années 1970. Si elles prennent un caractère « extrémiste » aux yeux de la presse de droite (et même de celle de gauche), ce n’est que la marque de la profonde régression idéologique qui a accompagné la contre révolution libérale, menée de concert entre la social-démocratie et la droite. Il est vrai cependant que ce retour n’est pas simple dans le cadre capitaliste mondialisé. Les classes dominantes s’y refusent pour une première raison, évidente : elles devraient rogner sérieusement sur leurs profits. Mais elles craignent aussi de perdre la possibilité d’entrer dans une concurrence victorieuse avec les classes dominantes des autres pays, dans l’hypothèse où elles s’engageraient seules sur ce chemin.

C’est pourquoi, si les mesures pour lesquelles nous luttons doivent d’abord être imposées à notre propre bourgeoisie, elles ne peuvent gagner en solidité que si elles s’étendent au moins à l’échelle de l’Europe, voire plus. Cela supposerait donc une mobilisation sociale de grande ampleur, laquelle poserait inévitablement la question du maintien du cadre capitaliste. Par ailleurs, des mesures anticapitalistes plus directes, mettant en cause non seulement le partage des richesses, mais celui de la propriété elle-même sont indispensables pour sortir de la crise dans un sens favorable aux travailleur-se-s.

Il faut par exemple de nouvelles socialisations. Les entreprises qui ne se plieraient pas à l’interdiction des licenciements par exemple seraient réquisitionnées. Et cela concerne surtout, les banques. Empêcher la spéculation, orienter l’investissement là où c’est nécessaire (et en particulier pour ces nombreuses très petites entreprises étranglées par la crise) nécessite de disposer d’un outil public et unique du point de vue bancaire. L’État a déjà injecté de fortes sommes dans les banques. Lesquelles (avec les assurances) ont, dans les dernières années, amplement couvert leurs actionnaires de dividendes scandaleux.

Nous proposons la constitution d’une banque publique unique, par la nationalisation, sans rachat, non seulement de celles que le gouvernement a déjà recapitalisé, mais aussi des autres. L’expérience a en effet largement démontré que même formellement étatisée, une banque a vite fait de basculer dans les mêmes mécanismes que les établissements privés quand elle est mise en concurrence avec eux.

La socialisation des banques sous contrôle populaire

Le stalinisme a jeté  le discrédit sur la propriété publique, assimilée au pouvoir donné à une minorité de bureaucrates. Il est devenu presque impossible de penser même une socialisation des grands moyens de production sur une base autogestionnaire. On pourrait pourtant penser une gestion reposant sur une base démocratique. Laquelle associerait : les travailleurs du secteur concerné ; les utilisateurs - représentés le cas échéant par les délégués des autres entreprises autogérées liées en amont ou en aval, ou par les syndicats et associations populaires, ou les deux - et enfin des représentants de la collectivité élue concernée – mairie, région, gouvernement central. Dans tous les cas, cela aboutirait à un conseil d’administration élu, à des dirigeants choisis par ce conseil, tous révocables selon des procédures propres à chaque type de représentation.

D’ailleurs étatisée est un terme trop restrictif. En réalité, l’ensemble des mesures d’urgence que le NPA défend ne seront que des techniques mortes si elles ne sont pas accompagnées du contrôle populaire. Ainsi, si le secret (financier, commercial, industriel) n’est pas levé, alors continueront à prédominer les mêmes mécanismes, et jusqu’à la spéculation elle-même.

Celles et ceux qui travaillent et produisent sont les mieux placés pour connaître la situation, déterminer les différentes options et prendre ensuite les décisions au moyen de procédures démocratiques adéquates. Au final, l’alternative se présente bien ainsi : le pouvoir absolu aux mains des actionnaires ou le contrôle généralisé par les populations.

La crise écologique

La crise climatique est le signal majeur des problèmes que l’humanité doit régler, après des siècles de productivisme capitaliste. L’enjeu étant d’enrayer la déforestation, la perte de la diversité des espèces et l’épuisement des ressources, dont l’eau. Si elle n’a pas de lien direct avec l’explosion de la crise économique, les deux se combinent pour former des défis historiques. A tous les coups, malgré les discours et les bons sentiments, un capitalisme pris à la gorge fera peu de cas des impératifs écologiques, sauf à y gagner de l’argent, et tentera d’en rejeter les conséquences les plus négatives sur les pays du Sud.

De toutes façons, les solutions à la crise écologique, qui nécessitent de traiter les questions à l’échelle internationale, dans la coopération et sur le long terme sont certainement contradictoires avec la logique même du capitalisme, de la concurrence généralisée et de la recherche de la valeur marchande comme seul horizon. Sortir du capitalisme ne suffira pas à sortir de la crise écologique. Mais rester dans ce système l’empêcherait définitivement.

« Tout est à nous, rien est à eux! »

Le NPA  défend donc un programme ouvertement anti-capitaliste qui implique une redistribution radicale des richesses dans ce pays. En avril 1968, les patrons auraient aussi considéré « irréaliste » une augmentation de 30 % du Smic, mais deux mois plus tard, face à la grève générale, ils devaient céder ! Ce qui a été possible en Mai 68 devrait l’être encore aujourd’hui.

Prises ensemble, nos revendications ne peuvent être appliquées qu’à travers une rupture avec le capitalisme. L'expropriation des capitalistes et le contrôle ouvrier sont les conditions indispensables pour construire une nouvelle société débarrassée de la misère et de l'exploitation. Même si tant de salariés cherchent un emploi auprès d’un patron, la vérité est que ce sont les patrons qui ont besoin des travailleurs et pas le contraire. Alors que tant d’experts patentés, les Lagarde et cie font la preuve de leur incapacité à gérer leur propre système, ne serait-il pas temps de miser sur celles et ceux qui produisent les richesses et sont, de ce fait, les mieux placés pour décider collectivement ce qu’il faut produire et comment le faire ?

La possibilité  de vivre dignement est à portée de main. Pour cela, il faut se libérer du carcan de l’économie de marché. Un gouvernement des travailleurs issu des luttes serait à même de mettre en place de telles revendications, qui supposent de s'en prendre frontalement aux intérêts de la bourgeoisie. Le capitalisme n’est pas réformable. Comme l’a rappelé notre congrès de fondation, nous luttons bien pour une autre société : pour le socialisme du XXIe siècle !

Au final, tout ceci revient à deux questions : peut-on imposer une rupture anticapitaliste par une mobilisation populaire ? Cette rupture peut-elle s’étendre à l’échelle européenne, puisque les politiques que nous proposons ne peuvent prendre leur vraie mesure qu’à cette ampleur ? Pour l’instant, la réponse est négative, ces idées étant encore minoritaires. Notre ambition et notre honneur est de travailler à renverser le rapport de force. Ainsi ce n’est nullement une question économique, mais une question idéologique, sociale et politique. Par définition, toute idée de révolution est d’abord minoritaire avant d’emporter, peut-être, la majorité. Combien de divisions en faveur de la République en 1788 ? Pourtant…