Publié le Dimanche 13 septembre 2015 à 07h06.

Sécu : Travail de sape au profit du privé

Toute une série de mesures depuis une vingtaine d’années favorisent une privatisation rampante de la branche maladie de la Sécu.

L’augmentation des « restes à charge »

Depuis 1947, la presse évoque le « trou abyssal » de la Sécu et des dépenses excessives de santé. En réalité, la Sécu souffre d’un manque de recettes en raison de la faible croissance des salaires, du chômage, et des politiques gouvernementales (exonérations, baisse de cotisations dites patronales...). Sous prétexte du pseudo-déficit, on ne compte plus depuis la seconde moitié des années 70 le nombre de plans qui ont réduit les taux de remboursements et augmenté la part dite salariale des cotisations sociales (qui ampute le salaire net, à la différence de l’augmentation de la part patronale).

La sécurité sociale rembourse les ¾ de la consommation des soins et biens médicaux (CSBM), c’est-à-dire l’ensemble des soins (hospitaliers et ambulatoires), mais les soins courants (pratiqués par des généralistes ou spécialistes : pharmacie, infirmierEs libérales, kinés…) ne sont plus remboursés qu’à 55 % en moyenne. Le ministère reconnaît que la sécurité sociale « concentre son intervention en faveur du gros risque ». Cela montre clairement son objectif à court ou moyen terme : se débarrasser des « petits risques », les plus rentables pour les assurances...

Et en effet, les déremboursements des médicaments ou leur remboursement dérisoire (ceux à 15 % vont être déremboursés), le forfait sur les séjours hospitaliers, les forfaits sur les actes médicaux, les franchises médicales, le remboursement très faible de l’optique et de certains frais dentaires, la pénalisation des assuréEs qui ne respectent pas le parcours de soins, les dépassement d’honoraires, ont deux conséquences : le non recours à des soins pour 30 % de la population (un coût pour la sécu, car le recours tardif à l’hôpital avec des pathologies aggravées peut coûter cher) et l’obligation d’avoir recours à des complémentaires santé pour ceux qui le peuvent, ce qui réduit le périmètre de la sécu.

La fiscalisation

Le patronat a constamment mené la bataille pour la baisse et la suppression des cotisations sociales. La baisse du salaire direct est immédiatement visible avec la baisse du pouvoir d’achat. Par contre, la réduction du salaire socialisé, accompagné de la perpétuelle campagne sur la lourdeur des « charges sociales » n’apparaît pas directement comme une attaque frontale pour la population, les conséquences sur le pouvoir d’achat – augmentation d’impôts, des tarifs des complémentaires – étant ­différées dans le temps.

L’enjeu (chiffres de 2013)

Recettes de la protection sociale 1 provenant des cotisations sociales

440,1 milliards (64 % des recettes)

Comparaisons

Recettes totales de la protection sociale

707,6 milliards d’euros (1/3 du PIB)

PIB

2 113,7 milliards d’euros

Budget de l’État

284 milliards de recettes fiscales

Michel Rocard a engagé la fiscalisation en créant la CSG en 1990. Cet impôt qui a remplacé la cotisation a constamment augmenté sous les gouvernements de gauche et de droite (de 1,1 % en 1990 à 7,5 % sur les revenus d’activité).

Les exonérations de la part patronale des cotisations sociales depuis le début des années 90, ont considérablement augmenté en 20 ans, pour atteindre 30,8 milliards en 2008. Elles ont diminué (25,7 milliards en 2013) avec la suppression des exonérations sur les heures supplémentaires, mais vont ensuite connaître une nouvelle progression avec les mesures du pacte de responsabilité en vigueur depuis le 1er janvier 2015 : baisse du taux de cotisation des allocations familiales (elles sont uniquement « patronales ») de 1,8 point jusqu’à 1,6 SMIC et suppression pour tous les salaires au SMIC de l’ensemble des cotisations « patronales » pour la sécu, la caisse d’autonomie et le fond d’aide au logement. Ces dispositions s’ajoutent au crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi-CICE : 20 milliards).

Le basculement du mode de financement

La branche maladie n’est plus majoritairement financée par les cotisations sociales. Le pacte de responsabilité va accélérer ce processus qui s’étendra aux branches famille et vieillesse. L’étatisation de la Sécu franchit un nouveau pas.

Part du financement par les cotisations

 

Sécurité sociale

Branche maladie

1980

96,9 %

98,00 %

2014

57,40 %

46,60 %

 

Les enveloppes fermées

Depuis le plan Juppé (1995), les recettes et les dépenses ne sont plus déterminés par les besoins mais elles sont fixées à l’avance par une loi annuelle de financement de la sécurité sociale (LFSS), votée chaque année au Parlement. Un dispositif d’alerte doit s’enclencher afin que des mesures d’économie soient prises si l’équilibre financier n’est pas atteint. La logique financière prime au détriment des besoins.

Les complémentaires obligatoires

L’accord national interprofessionnel (ANI) rend obligatoire à compter du 1er janvier 2016 l’adhésion à une assurance complémentaire santé pour tous les salariéEs et leurs ayants-droits. Le gouvernement a fait ce choix plutôt que d’étendre le remboursement de la Sécu à 100 %. Les cotisations et couvertures seront variables d’une entreprise à l’autre, et pourront être limitées à un panier de soins. Les cotisations seront prises en charge à 50 % par les employeurs qui bénéficient d’une exonération de ces cotisations sociales en plus de la déduction de l’impôt sur les sociétés, alors que la déduction pour les salariéEs a été supprimée. Hollande a annoncé en juin que ce dispositif serait étendu aux retraitéEs d’ici 2017.

Les réseaux de soins

Après les assurances, les mutuelles ont la possibilité depuis 2013 de créer des réseaux de soins. Leurs adhérentEs sont mieux remboursés lorsqu’ils consultent un professionnel rattaché au réseau à partir du moment où la Sécurité sociale prend en charge moins de 50 % du remboursement. C’est donc réservé aux opticiens, dentistes et audioprothésistes... pour le moment. Mais les remboursements des soins courants n’ont cessé de baisser pour atteindre 55 %...

La montée des assurances privées

Les assurances se concentrent et proposent des offres alléchantes, parfois moins chères que les mutuelles. Les mutuelles s’adaptent en renonçant à leur principes pour proposer « une gamme d’offre de contrats ». Des mutuelles se démutualisent ou fusionnent avec des assurances. Des groupes de protection sociale comme Malakoff-Méderic rassemblent dans une même entité des institutions de retraites complémentaires, de prévoyance, des mutuelles, des sociétés d’assurance. Les mutuelles, au nombre de 5 780 en 1995, sont aujourd’hui moins de 500. Elles ne seront plus qu’une centaine en 2018 (Étude du cabinet SIA Partners, les Échos du 25 septembre 2014).