Le plateau du Larzac a été utilisé dès le 19e siècle par l’armée et a servi à la détention d’Algériens. Michel Debré, ministre de la Défense du gouvernement Pompidou, annonce officiellement à la télévision le 28 octobre 1971 la décision d’étendre le camp militaire de 3 500 à 17 000 hectares, ce qui veut dire expulser les 103 agriculteurs du plateau.
Il s’agit de paysans anciennement implantés et aussi de « néoruraux », qui pratiquent l’élevage de brebis pour la production du roquefort. Ils sont associés en Groupements agricoles d’exploitation en commun (GAEC). Durant plus de dix ans, l’opposition à l’extension du camp s’affronte aux gouvernements successifs jusqu’à la victoire par l’abandon du projet en 1981.
« Debré ou de force, nous garderons le Larzac »
Dès 1971 et 1972, les habitantEs du Causse appellent à des manifestations à Millau, Rodez. Ils lancent le mot d’ordre en occitan « Gardarem lo Larzac » et en font le titre de leur journal. À Pâques 1972, 103 paysans s’engagent à ne pas vendre leurs terres. Ils multiplient les actions juridiques, légales, illégales, spectaculaires permettant de médiatiser : soixante brebis broutent sur le Champ de Mars, les moutons envahissent les tribunaux.
Le 7 janvier 1973, une montée à Paris avec les tracteurs est arrêtée à Orléans ; ils continuent à pied. Parmi leurs nombreuses alliances, celle de Bernard Lambert, paysan, dirigeant le syndicat des Paysans travailleurs (la future Confédération nationale des syndicats de travailleurs paysans) sera décisive. Des comités d’action Larzac sont créés dans toute la France. Pour compliquer les projets de l’État et des promoteurs, les Larzacois divisent leurs terres en de multiples parcelles grâce aux Groupements fonciers agricoles (GFA).
La mobilisation s’amplifie, devient nationale
En avril une soixantaine d’agriculteurs du Causse expédient au ministère de la Défense leurs livrets militaires. Ils seront suivis ensuite par près de 3 000 Français. Parallèlement, un mouvement d’« objection fiscale » invite les contribuables à retirer les 3 % de l’impôt affectés à l’armée afin de les reverser à la lutte...
Le 10 juin 1973, ils commencent à bâtir la bergerie la Blaquière (évidemment sans permis). Trois cents personnes sont sur le chantier en autogestion.
L’été 1973, les Français sont appelés à se rendre au Larzac. Les 25 et 26 août 1973, 80 000 personnes sont dans l’Aveyron. Ce succès résulte d’un minutieux travail de préparation et d’une vaste solidarité à l’échelle de l’Hexagone. Un public hétéroclite, intergénérationnel, mélange de milieux ouvriers (les salariéEs de Lip), paysanEs, étudiantEs et intellectuelEs se retrouve là, dans une atmosphère joyeuse et politique.
Un mouvement victorieux qui sème des graines encore aujourd’hui
Cette mobilisation historique s’explique par plusieurs raisons dans le contexte post-mai 1968. Elle fait écho à un fort mouvement pacifiste et antimilitariste, contre l’obligation de faire son service dans ces années post-coloniales. C’est l’époque des comités de soldats. Debré a provoqué les manifestations de la jeunesse en annonçant la suppression des sursis pour les plus de 21 ans.
L’internationalisme est aussi bien vivant. On lit des communiqués d’organisations révolutionnaires de Grèce et du Chili. La solidarité avec les peuples autochtones est proclamée. Le rassemblement de l’été suivant le 17 août 1974 doit financer des projets dans le tiers monde. François Mitterrand y est très mal accueilli.
Un sentiment régionaliste est résumé dans cette expression souvent employée : « Nous sommes les colonisés de l’intérieur ».
L’écologie n’est pas le thème le plus mis en avant sur le Larzac, elle est cependant bien là même si ce n’est pas encore vraiment conscient. C’est la candidature de René Dumont en 1974 qui en sera l’expression politique.
Pour les familles du Causse, qui se sont politisées à une vitesse éclair, le rapprochement entre monde paysan et monde ouvrier relève de l’évidence.
Les luttes se succèderont jusqu’à la victoire finale. Elles continueront au-delà, avec le 9 août 1999, le démontage du MacDo de Millau, puis au début des années 2000, grande période de l’altermondialisme, les rassemblements au Larzac contre l’OMC en 2000 et 2003. Sur le plateau du Larzac même, les traces de ces combats sont présentes. Elles ont inspiré les zadistes de Notre-Dame-des-Landes. À l’heure de l’urgence climatique et de la répression qui s’est abattue sur le mouvement antibassines à Sainte-Soline, il sera le lieu, en août prochain, d’un nouveau rendez-vous militant.