Le Conseil de l’Europe déclarait en juin 2015 : « L’immigration clandestine peut être prévenue par l’aide au développement ». La pauvreté serait donc la « cause profonde » des migrations internationales, et l’aide publique au développement un levier pour éradiquer la pauvreté et éviter que les populations les plus démunies ne quittent leurs pays.
Lors du sommet de La Valette les 11 et 12 novembre 2015, réunissant les chefs d’État africains et européens, l’UE a présenté la « crise migratoire », qui toucherait l’Europe, comme un « défi commun » ou encore « une responsabilité partagée ». Le plan d’action mis en place à cette occasion est sans ambiguïté : sous couvert de quelques mesures concernant le développement et la migration autorisée, ce sont surtout les aspects répressifs qui prévalent et en particulier le retour ou la réadmission des migrantEs en situation dite irrégulière. La lutte contre la pauvreté affichée comme principal moteur de régulation des migrations vers l’Union européenne a permis, grâce au chantage exercé par cette dernière dans le cadre de l’Aide publique au développement (APD), de créer des outils sécuritaires cherchant à juguler à distance les migrations.
Les « Accords de gestion concertée des flux migratoires » conditionnent le versement de l’APD au respect des engagements des pays bénéficiaires dans la lutte contre les migrations venant de leur pays, ou celles y transitant. En 2015, l’UE a ainsi créé le Fonds fiduciaire d’urgence pour l’Afrique, « en faveur de la stabilité et de la lutte contre les causes profondes de la migration irrégulière et du phénomène des personnes déplacées ». Ce fonds est doté de 2,8 milliards d’euros. D’après le programme de La Valette, ce financement doit contribuer au développement économique, à la gestion de la migration, à la stabilité et à la « bonne gouvernance » des pays concernés.
Façade humanitaire
Le but principal de cette politique est de « réduire les flux des migrations illégales » et « d’accroître les taux de retour », auquel, pour faire bonne mesure, a été ajouté un pseudo discours humanitaire : « lutter contre le trafic d’êtres humains », « permettre aux migrants de rester plus près de chez eux » et, comble du cynisme, « sauver des vies en Méditerranée ». Derrière cette façade humanitaire la priorité est donnée à l’organisation de « retours rapides et efficaces » et de développer les coopérations nécessaires avec les autorités policières et consulaires des pays. À titre d’exemple, sur les 140 millions d’euros accordés au Niger, 83 millions sont attribués à des projets concernant le contrôle policier et la gestion des flux migratoires. Une quarantaine de millions est destinée à des programmes de soutien économique, lesquels sont gérés par des agences allemandes et espagnoles, et tardent à se mettre en place. Il ressort également que, lors d’une rencontre tenue à Malte, en février 2017, entre l’UE, ses membres et des pays africains, l’Union africaine a remarqué que les premiers bénéficiaires du fonds fiduciaire n’étaient autres que les agences de développement de différents pays européens…
Externalisation des frontières de l’Europe
Les accords de gestion concertée des flux migratoires cosignés par les pays concernés et l’UE conditionnent le versement de l’APD au respect de leurs engagements de lutte contre les migrations venant de leur pays.
Cette politique de l’obole sous contrainte vient après des dizaines d’années durant lesquelles le FMI, la Banque mondiale, l’Union européenne, la Banque centrale européenne… ont imposé des « ajustements structurels » amenant encore plus de pauvreté. Les conflits et les guerres fomentées par les puissances occidentales pour maintenir leur mainmise néocoloniale participent également de l’appauvrissement des pays d’origine des migrantEs, et ont engendré de gigantesques déplacements de populations. Sans même parler des politiques productivistes et polluantes qui bouleversent l’environnement et jettent sur les routes des millions de réfugiéEs climatiques…
L’Union européenne a imposé par le chantage économique et le contrôle par les pays d’origine et de transit, la marchandisation de l’immigration. Cette dernière est devenue, comme n’importe quelle matière première, négociable dans le cadre des relations capitalistes entre l’Europe et les pays d’origine des migrantEs.
Ainsi les pays de transit et d’origine des migrations gèrent-ils par procuration l’externalisation des frontières de l’Europe, en échange d’une coopération économique susceptible de leur garantir quelques miettes des ressources destinées à la surveillance des frontières et à la répression des candidatEs à la migration.