La socialisation d’une partie du salaire est fondamentalement contradictoire avec la société capitaliste, dans le sens où elle est opposée à la logique du chacun·e pour soi et repose objectivement sur l’unité de la classe. Dans ce sens, la revendication du 100 % sécu est une revendication transitoire vers la société socialiste.
La Sécurité sociale par la socialisation d’une partie du salaire modifie la répartition des richesses entre salaires et profits, en luttant contre la mise en concurrence généralisée de toutes et tous contre toutes et tous du libéralisme. Grâce à la Sécurité sociale, un chômeur reste un travailleur privé d’emploi, un malade un salarié qui nécessite des soins, une femme enceinte une salariée qui se protège, elle et sa grossesse, des difficultés du travail, le tout payé en prenant sur les profits ! C’est la première raison fondamentale de l’hostilité du capital en crise à notre Sécu. Elle contribue à construire un intérêt commun de toutes et tous les salarié·es à l’augmentation des salaires, directs et indirects. C’est ce que ne supportent pas les bourgeois et extrême droite quand ils dénoncent « les assistés » qui léseraient « la France qui se lève tôt »
De chacun ses capacités à chacun ses besoins
Mais le salaire socialisé modifie aussi profondément la manière dont les salarié·es se répartissent entre eux la part du salaire qu’ils ont mis en commun. C’est la seconde raison de l’hostilité de la classe dominante à la Sécurité sociale.
En effet, le marché du travail individualise et met en concurrence les salarié·es. Les luttes ouvrières ont déjà permis de limiter cette concurrence par les conventions collectives, les grilles salariales ou les statuts. Elles restreignent l’individualisation des salaires, qui cassent les collectifs de salarié·es. La Sécurité sociale ajoute un élément de plus : la distribution partielle de salaire, en fonction des besoins et pas en fonction de la rémunération individuelle. Ainsi, grâce à l’assurance maladie, un·e salarié·e au SMIC ou un·e chômeur·se peuvent bénéficier de la prise en charge intégrale d’une maladie chronique, au même titre qu’un cadre supérieur. « De chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins » écrivait Louis Blanc, repris par Karl Marx dans sa célèbre Critique du programme de Gotha de 1855 : la Sécurité sociale est en ce sens un germe du socialisme que nous voulons construire.
Payer les gens à ne rien faire ? Travail salarié et droit à la paresse !
La bourgeoisie veut réduire nos vies au travail salarié car c’est de là que vient son profit. Troisième scandale : pour elle la Sécurité sociale paie les gens « à ne rien faire »! La socialisation du salaire introduit le ver dans le fruit avec ce principe inacceptable pour un capitaliste : un salarié qui ne travaille pas, et donc n’est à l’origine d’aucun profit, continue néanmoins de toucher du salaire. Chômage, allocations familiales pour des enfants qui n’occupent aucun poste de travail, maladie, allocation de maternité, dépendance, autant de situations hors emploi qui sont rémunérées ! Pas étonnant que les capitalistes dénoncent cette situation « absurde » et veulent revenir à un capitalisme pur, avec un salaire « pur », sans prise en compte du hors travail, à charge éventuellement pour l’impôt d’assurer un filet de sécurité minimum, et pour les assurances privées de se faire des profits sur les « risques » de la vie, pour ceux qui en ont les moyens !
Retrouver les chemins d’une Sécu auto-gérée pour l’émancipation !
Malgré les défaites subies, les salariés restent très attachés à la Sécu car ils savent ce que sa destruction totale coûterait à leur droit à la santé ou à la retraite notamment. Alors à nous de tracer un chemin pour reconquérir notre Sécu et lui assurer un financement à la hauteur des besoins, une Sécu auto-gérée pour retrouver le chemin de l’émancipation et du droit à la santé pour tous et toutes.
Une prise en charge à 100 % de tous les soins par la Sécu, pour la gratuité des soins
Contre un taux de remboursement par la Sécurité sociale toujours à la baisse et un « panier de soins » limité qui laisse toujours plus de la place pour les assurances complémentaires et les « sur-complémentaires », nous voulons une prise en charge à 100 % de tous les soins par la seule Sécurité sociale, les mêmes prestations pour toustes, dans un périmètre élargi, défini ensemble par les salarié.es, les usager·es et les professionnel·les de santé en fonction des besoins.
Nous opposons le 100 % Sécu, c’est-à-dire le remboursement intégral des soins et bien médicaux par la Sécurité sociale, au « 100 % santé » trompeur de Macron. Celui-ci-ci est limité à certains dispositifs d’optique ou au dentaire, mais surtout le « 100 % santé » s’appuie sur l’élargissement de la prise en charge par les assurances complémentaires, dont il participe à l’explosion des tarifs. Là où la prise en charge à 100 % par la Sécu signifierait une hausse du salaire socialisé, le 100 % santé signifie une hausse du coût de la santé au bénéfice des assureurs privés, qui répercutent cette prise en charge en augmentant leurs tarifs. Au total, une hausse des dépenses de santé qui ampute nos salaires directs.
Un 100 % Sécu pour tous et toutes, universel, sans condition de ressource.
Nous voulons une Sécurité sociale universelle, contre les divisions qui font le lit du racisme ou la stigmatisation des plus pauvres. Cela passe notamment par l’intégration sans condition au 100 % Sécu que nous défendons de l’Aide médicale d’État des sans-papiers, attaquée de toutes part, actuellement financée par le budget de l’État, avec un panier de soins limité, et de nombreux critères d’exclusion, ce qui rend le recours à ce droit très difficile. Nous voulons aussi l’intégration dans le 100 % Sécu de la Complémentaire Santé Solidaire, ex-CMU, au même niveau de prise en charge des prestations, ce qui rendrait plus difficile tous les discours sur « il n’y en a que pour les assistés ». La Sécu pour tous, ce sont des droits égaux pour toutes et tous
Pour un service public de la perte d’autonomie financé à 100 % par la Sécurité sociale
La Sécurité sociale doit financer à 100 % la perte d’autonomie, qui ne doit être à la charge ni des personnes ni des familles. Pour cela, il faut une augmentation des cotisations patronales de Sécurité sociale, et pas le vol d’une nouvelle journée « de solidarité » sans salaire. Il faut l’intégration au service public des personnels des « services à la personne », avec une vraie formation-qualification et le cadre statutaire de la fonction publique. Il faut le passage de tous les Ehpad en Ehpad publics, avec l’expropriation sans indemnité des grands groupes privés comme Orpéa ou Korian, qui ont fait de la perte d’autonomie un business maltraitant mais très lucratif, avec l’intégration de leurs personnels à la fonction publique hospitalière et des budgets correspondant aux besoins réels, définis démocratiquement avec les personnels, les familles, les usager·es, et notamment un ratio d’encadrement de 1 pour 1, soit un personnel pour un·e résident·e, alors qu’il est de 0,63 pour un actuellement. Nos mamies valent plus que leurs profits !
Contre les déserts médicaux et une médecine libérale à bout de souffle, des centres publics de santé de proximité partout, à commencer par les déserts médicaux, pluri-professionnels, assurant le soin, la prévention, les petites urgences, la formation et la recherche, pour et avec les usager·es, gratuits et financés par le 100 % Sécu
Ces centres de santé, à l’opposé des maisons de santé privées, sont publics et gratuits dans le cadre du 100 % Sécu. Mais ils seraient aussi l’occasion d’une triple révolution face à une médecine libérale, essentiellement curative et individuelle. La révolution d’une médecine communautaire ou participative, avec et pour les patient·es. À l’opposé des temps du Covid où pour l’État le malade était le problème. Et la gestion de la pandémie faite à coups de QR code et d’amendes de gendarmerie, nous affirmons qu’à l’aire des pathologies chroniques et environnementales, le malade, actuel et futur, son information éclairée, les moyens donnés à sa capacité à changer sa vie sont au centre de la solution.
La seconde révolution, c’est de passer du soin isolé au soin associé à la prévention, tant il est vrai que ces Centres de Santé sont le lieu idéal d’une prévention bâtie aussi au niveau d’un territoire, avec les usager.es et leurs associations, avec toutes et tous les acteurs du social et du médico-social, avec les salarié.es des entreprises environnantes face aux pollutions, face à la souffrance au travail, avec l’éducation nationale et les cantines et cela dans un cadre participatif, individuel et collectif.
Seul un fonctionnement démocratique de ces centres de santé, bâti par les salarié·es, les usager·es, les professionnel·les, les associations, et c’est la troisième révolution, peut porter ces projets dans le cadre d’une Sécurité sociale actrice du soin, mais aussi de prévention et de changement des conditions de vie qui nous rendent malade.
Pour l’hôpital public, contre la maîtrise comptable qui ferme les lits et maltraite les personnel·les, un budget à la hauteur des besoins
L’austérité et la gestion comptable portée par la tarification à l’activité, les directeurs et les Agences régionales de santé (ARS), appliquant une logique financière, ont transformé les hôpitaux en usines à soins, qui réduisent toujours plus les temps de séjour, ferment les services « non rentables » et cachent derrière le vocable virage ambulatoire, le report vers les familles de la prise en charge des plus isolés, démunis face à la désertification médicale. La qualité des soins s’y dégrade, on meurt aux urgences sur des brancards faute de soins et de lits disponibles dans les autres services. Malgré les applaudissements pendant le confinement les « indispensables » du soin sont maltraités et mal payés. Pendant ce temps, les cliniques privées sélectionnent les pathologies, les territoires et les patient·es les plus « rentables ».
À l’enveloppe fermée de l’Objectif national des dépenses d’assurance maladie hospitalier qui court toujours moins vite que l’inflation, à la tarification à l’activité, aux directeurs et aux ARS et à leur gestion financière, nous opposons l’exigence de budgets hospitaliers à la hauteur des besoins, en personnels, en lits et en investissements. Des besoins de santé portés par les populations et les équipes soignantes, comme certains services ont pu en faire l’expérience au moment du Covid où les critères financiers ont parfois été mis en suspens.
La définition des besoins hospitaliers doit aussi s’appuyer sur des ratios minimums par patient définis par spécialité, ainsi que sur l’accessibilité sur tout le territoire d’établissements dotés de tous les services nécessaires, notamment en médecine, chirurgie, maternité et soins palliatifs, en lien avec des centres experts régionaux. On pense par exemple à l’obligation d’une accessibilité des maternités à moins de 30 minutes sur tout le territoire. Cela passe par un plan d’urgence pour la formation et l’embauche de professionnel·les de santé, avec les moyens correspondants, incluant un salaire étudiant pour toutes et tous (formation de 16 000 médecins par an pour faire face au manque criant de médecins, embauche de 100 000 personnes dans les hôpitaux et les hôpitaux psychiatriques, de 200 000 personnes dans les Ehpad…).
La Sécurité sociale n’a pas à financer les profits du secteur lucratif et des fonds de pension
Notre santé vit un processus accéléré de financiarisation et de marchandisation. Les cliniques privées bien sûr, mais aussi Doctolib passage obligé pour les prises de rendez-vous ou les dossiers patients, avec à la clef les menaces sur le secret médical et une indépendance encore plus menacée des médecins au moment de leurs prescriptions. Mais aussi la concentration des structures dans l’imagerie médicale et la biologie, où la nécessité d’investissements lourds et les économies d’échelles ont favorisé la pénétration du capital, avec la bénédiction des gouvernements, faute d’investissements publics. Ces investissements qui ont doublé en 10 ans favorisent les dépassements d’honoraires, la fuite des territoires les plus pauvres, et une santé low-cost qui multiplie les scandales, comme les centres dentaires ou les EHPAD privés, sans parler des industries du médicament, leurs ruptures de stock et leurs prix extravagants permis par les brevets (multiplication par dix du prix des anti-cancéreux en dix ans). La Sécu ne doit pas être la vache à lait du privé, le médicament ne doit pas être une marchandise. Une Sécurité sociale autogérée devrait aussi participer à la définition des besoins en médicaments essentiels et favoriser la transparence, la baisse des prix et la production publique de médicaments, tests et vaccins, ainsi que la pharmacovigilance.
La Sécurité sociale doit enfin cesser d’alimenter les profits de la finance : la CADS, la Caisse d’amortissement de la dette sociale, met sur les marchés financiers les milliards d’euros du déficit de la Sécurité sociale, conséquence des recettes insuffisantes votées par les gouvernements. À l’État de prendre en charge immédiatement ce déficit, sans rémunérer les banques, même si la meilleure façon de le financer, c’est d’augmenter les salaires et d’embaucher, pour augmenter les cotisations sociales !
Un financement socialisé, à la hauteur des besoins, définis démocratiquement.
La Sécu est malade de ses recettes et pas de ses dépenses. Elle est malade des salaires bloqués et du chômage qui la privent de recettes : 100 000 chômeurs en moins, c’est près de 2,4 milliards d’euros de recettes en plus, 1 % d’augmentation des salaires représente autour de 4,9 milliards d’euros de cotisations en plus ! Elle est malade des inégalités salariales hommes-femmes, alors que le Haut Conseil à l’égalité a pu calculer que cette égalité ferait rentrer 5 milliards d’euros dans les caisses de la Sécu. Elle est malade des exonérations de cotisations sociales : 83 milliards d’euros l’an passé, de la TVA que l’État ponctionne sur l’hôpital : 5 milliards d’euros.
Nous voulons le financement intégral des dépenses sociales par les cotisations sociales, qui sont une part de notre salaire, le salaire socialisé. Les cotisations dites « salariales » amputent le salaire, elles doivent être converties, ainsi que la CSG, en cotisations dites « patronales ». Nous voulons le paiement des cotisations sociales en pourcentage du salaire pour tous les assuré·es, sans exclusive. La CSG exonère le patronat d’une partie toujours plus importante du financement de la Sécu, elle pèse à plus de 90 % sur les salarié·es, les chômeurs, les retraité·es. Nous refusons les milliards d’exonérations de cotisations sociales. Elles servent aux patrons, ces « assistés » du CAC 40 à verser des dividendes toujours plus importants aux actionnaires. Elles n’ont jamais favorisé l’emploi ou la recherche. Ces exonérations ne sont même pas intégralement compensées par l’État. Elles sont autant de recettes en moins pour son budget et le financement des services publics. Nous refusons le paiement par les CHU d’une TVA qui transfère chaque année 5 milliards d’euros des caisses de la Sécurité sociale à celle de l’État.
Pour les retraites aussi le 100 % Sécu !
Ce qui est vrai pour la santé, l’est autant pour les régimes de retraite. Le système par répartition, fondé sur des cotisations sociales versées par les employeurs, doit être le système unique, avec une retraite à 60 ans pour toutes et tous, à taux plein, avec 37,5 années de cotisations, et à 55 ans pour les métiers pénibles.
Comme pour la santé, nous refusons un système minimum « par répartition », complété pour celles et ceux qui en auraient les moyens par des « fonds de pension » par capitalisation. Refusons de jouer notre retraite en bourse !
Une Sécu autogérée, indépendante et unifiée
Face à l’étatisation de la Sécurité sociale, nous préconisons, à partir des principes posés en 1945, l’instauration d’une Sécurité sociale véritablement autogérée par les assurés sociaux. C’est-à-dire :
— l’éviction des patrons des caisses de Sécurité sociale ;
— un organisme unique mettant fin à l’éclatement en de multiples régimes, branches, organismes complémentaires. La condition préalable est l’alignement de toutes prestations sur les plus élevées ;
— l’élection sur la base de listes syndicales ou de mouvements sociaux (associations de malades, retraités, chômeurs, associations familiales, etc.) des représentants des assurés sociaux.
Mais l’élection de représentants aux caisses ne suffit pas. Ceux-ci doivent en permanence être placés sous le contrôle de leurs mandants. Cela suppose la consultation et le vote après information et débat contradictoire des assurés sociaux sur les grandes décisions et les principaux choix dans des unités territoriales réduites, permettant aux assurés d’être réellement partie prenante des décisions. Les représentants des assurés sociaux devraient être tenus de respecter les mandats qui leur seraient donnés par les assemblées territoriales d’assurés sous peine de révocation. Selon leur nature, les décisions devraient être prises au niveau compétent : local, régional ou national.
La Sécurité sociale élément essentiel d’une stratégie de transition au socialisme
Un tel programme implique d’inverser le mouvement qui a modifié la répartition des richesses au détriment des salaires et en faveur des profits.
Prendre sur les profits pour financer la Sécurité sociale, confier sa gestion aux seuls assurés sociaux, sont des mesures qui se heurteront à une opposition acharnée du patronat et des pouvoirs en place. C’est d’autant plus vrai aujourd’hui, en période de crise et d’offensive d’austérité généralisée pour la baisse du « coût du travail ».
Une partie du programme que nous avons formulé peut certes être imposée dans cette société, si l’on crée le rapport de force suffisant. Ce sera un acquis essentiel pour les salariés. Mais sa réalisation intégrale pose inévitablement la nécessité d’un changement de société : la lutte jusqu’au bout pour la défense et l’extension du salaire socialisé est l’un des éléments d’un programme de transition vers le socialisme qui, partant des aspirations des salarié·es, débouche sur la nécessité de rompre avec capitalisme.
Priver les patrons du contrôle sur une part croissante de la richesse produite, et organiser sa répartition par les salariés eux-mêmes selon des critères de solidarité et de satisfaction des besoins, c’est poser le problème de qui décide de la répartition de la richesse, et de l’organisation de la société. Étendre et généraliser le salaire socialisé, c’est mettre en cause l’existence même du salariat et préparer son abolition.
La Sécu est à nous. Mobilisation pour l’étendre, au service de l’unité et de l’émancipation
Après la défaite subie en 2023 sur les retraites, face à la violence des attaques, reprendre la mobilisation ne va pas de soi. Les espérances déçues par une gauche convertie au libéralisme et au flash-ball, l’émergence du racisme et du fascisme comme « solution » du chacun pour soi contre tous les autres.
Mais il n’y pas d’autre chemin qu’une unité des organisations syndicales, des associations d’usagers, élu·es ou de patient·es indépendant·es, des associations féministes, des partis de gauche de combat autour de revendications qui tissent les solidarités contre les exclusions, contre les privatisations et la marchandisation, pour défendre et étendre cette conquête qu’est la Sécurité sociale. Contre la liquidation de la Sécu avant changement de propriétaire, défendons une réappropriation démocratique de la Sécurité sociale et sa gestion par les assuré·es sociaux, sans contrôle étatique et patronal, au service de nos droits collectifs à la santé, la retraite…