Lux Editeur, 2024, 304 pages. 20 euros.
À l’heure où les discours nationalistes et le repli identitaire résonnent plus forts que jamais, Forteresse Europe se penche sur les mécanismes mis en place par les membres de l’Union européenne pour fermer leurs frontières de façon toujours plus hermétique, au mépris de toute considération humaine.
Externaliser l’horreur
Alors que le mythe paranoïaque de « grand remplacement » tourne en boucle dans les médias dominants, l’Union européenne déploie d’innombrables moyens, coûteux et meurtriers, pour repousser celleux qui tentent de trouver comment se construire une vie digne loin des conflits de leurs pays d’origine. C’est à grand renfort de financements et d’aide logistique que nos gouvernements externalisent ces procédés, en confiant au Maroc, à la Libye, à la Serbie… le soin de refouler les migrantEs. Une façon de garder les mains propres en apparence et l’horreur loin des yeux, loin du cœur, et donc loin des préoccupations de l’opinion publique. Les drames et les morts s’accumulent, en mer autant qu’au pied des murs frontaliers, sans émouvoir. Les officiels cherchent à invisibiliser mais aussi, au besoin, à justifier cette lutte par tous les moyens contre celleux que l’on voudrait nous faire voir comme une menace civilisationnelle majeure.
De l’hypocrisie des frontières
La lutte contre les personnes migrantes confine à l’acharnement. Au départ, les barbelés, les drones, les PAF, les garde-côtes, les embarcations précaires, les noyades. Acharnement monstrueux, et inutile : celleux qui persévèrent finissent souvent par passer. Pour les chanceuSEs qui réussissent, au terme d’un voyage de parfois plusieurs années, le pire n’est pas derrière. À l’arrivée, ce sont, souvent pendant des années, l’enfer administratif, les CRA, les violences policières et la xénophobie ambiante qui les attendent. Chaque jour iels sont humiliéEs, traquéEs, délogéEs, leurs campements de fortune détruits. Tout, plutôt que de les laisser s’établir et retrouver dignité et autonomie. Les rendre indésirables aux yeux de la population, et leur faire comprendre qu’iels le sont, surtout.
Avec des témoignages parfois très durs de migrantEs et de militantEs, et en se rendant sur le terrain, Émilien Bernard brosse un tableau complet et sans appel de la situation de celleux qui risquent tout, et sur l’inhumanité des frontières. Une remarque toutefois, à la question que l’auteur se pose, « Qui parmi l’extrême gauche pour vraiment dénoncer l’Europe forteresse […] qui pour en faire l’un des points fort de son programme, de son discours ?», on aurait quand même envie de répondre : « ben… nous ?! »
Cyrielle L.A.