Le musée Carnavalet-Histoire de Paris1 fait-il «sa révolution» comme il l’annonce? Il présente en tout cas deux belles expositions de documents curieux et rares, qui font assez bien partager l’ambiance chahutée de la période révolutionnaire.
À côté de ses enseignes, de ses collections d’outils, de ses maquettes du vieux Paris populaire et ouvrier qui en rendent toujours la visite instructive et touchante, le musée Carnavalet conserve plus de 25 000 documents et œuvres intéressant la Révolution française, la collection la plus ancienne et la plus riche au monde sur le sujet. Ce fonds a été abondamment exploité par les éditeurs pour illustrer leurs livres d’histoire, mais les deux expositions actuelles en révèlent réellement des «trésors cachés», dont certains surprendront même les spécialistes. La fermeture pour rénovation des «salles de la Révolution» de ce musée est ainsi largement compensée par l’ouverture au public des secteurs les moins connus de ce fonds, qui devrait être peu à peu numérisé et consultable par voie électronique, même si rien ne remplace le regard direct, comme le vérifieront certainement les visiteurs.
La plus condensée de ces expositions, consacrée aux «caricatures anglaises au temps de la Révolution et de l’Empire» dont elle présente une quarantaine d’exemples frappants, permet de saisir l’ambivalence de l’opinion anglaise à l’égard des événements français. Louis Capet et sa famille n’y sont pas ménagés : rien que goinfrerie, égoïsme et idiotie. Avec Gillray ou Rowlandson, l’outrance du trait atteint des sommets qui préfigurent les dessins de presse et la BD d’aujourd’hui, mais qui allaient rester longtemps une spécialité des caricaturistes et illustrateurs anglais. La deuxième exposition, largement plus développée, est conçue, de façon classique et efficace, comme une «chronique de la Révolution» à travers les images et les objets.
Il importe certainement, pour saisir l’atmosphère d’urgence de ces années-là, de pouvoir «toucher des yeux» (et non plus seulement dans les livres) les lourdes piques des sections révolutionnaires, l’austère tabatière de Marat en forme de bonnet phrygien, et même, si l’on veut, la culotte du dauphin… Mais les images ne sont pas moins éloquentes, serait-ce seulement par leur foisonnement parallèle à l’extraordinaire production de journaux, libelles, tracts et pamphlets qui déborda dès le départ les capacités de la censure royale. Qui ne dessinait pas alors, comme qui ne prend pas des photos de nos jours? À côté des œuvres «mises au propre» et en conformité avec les canons esthétiques dominants, images apprêtées et «retouchées» (dirait-on aujourd’hui) souvent retenues pour illustrer les livres d’histoire, on verra grâce à cette exposition des scènes croquées à la hâte autant qu’à la diable, vues quasiment instantanées et pleines d’émotion, qui sont en somme la Révolution prise sur le vif.
Gilles Bounoure
1. Musée Carnavalet, 23 rue de Sévigné, 75003 Paris, jusqu’au 3 janvier 2010, tous les jours sauf lundi et jours fériés.