Publié le Jeudi 24 décembre 2009 à 18h44.

Amérique latine : dans le collimateur de « l’oncle Sam »

Malgré les échecs de différents traités de libre échange avec certains états d’Amérique latine, les états-unis n’ont pas abandonné leurs projets qui sont en outre accompagnés d’un volet militaire.

Les États-Unis d’Amérique ont proclamé dès le xixe siècle que l’Amérique latine était leur arrière-cour (doctrine Monroe). Après plus d’un siècle d’interventionnisme, après leur soutien direct et indirect à plusieurs dictatures au nom de la doctrine de la sécurité nationale et de la lutte contre le communisme, auraient-ils mis fin à leur pratique d’ingérence dans la région ?

Nouvelles stratégies impériales

Dans la période qui suit la Guerre froide, la chasse gardée latino-américaine ne paraît plus figurer parmi les priorités de Washington. Durant les années 1990, les États-Unis dominent sans avoir en face – semble-t-il - aucun adversaire : la gauche révolutionnaire a été écrasée ou neutralisée par le terrorisme d’État ou les guerres civiles ; Cuba traverse sa « période spéciale » et une grave crise économique à la suite de la défection de l’URSS. Seuls subsistent, au rang des menaces dites « non-conventionnelles » selon le Département d’État, la délinquance organisée, le trafic de drogue et d’armes, les migrations Nord-Sud. Depuis la Guerre du Golfe (1991) et, surtout, le 11septembre 2001, le Pentagone a les yeux rivés sur le Proche-Orient et le Moyen-Orient. L’importance des ressources humaines, militaires et les centaines de millions de dollars mobilisés en Irak et en Afghanistan accentuent indéniablement cette tendance de la géostratégie états-unienne enlisée dans ces «nouveaux Vietnam ».

Ces dernières années, les projets des États-Unis sont largement bousculés au sud du Río Bravo. Outre l’apparition de gouvernements aux accents nationalistes ou anti-impérialistes, le projet d’une grande Zone de libre-échange des Amériques (Alca en espagnol) lancée par Bill Clinton en 1994, à la suite de l’Accord de libre-échange nord-américain (Alena), a échoué. Ce vaste marché s’est heurté à la résistance des mouvements sociaux (campagne continentale contre l’Alca), mais aussi aux réticences des bourgeoisies des grands pays du Marché commun du Sud (Mercosur) comme au refus de la Bolivie et du Venezuela bolivarien.

Les États-Unis ont su s’adapter. Dès les années 1990, le système de domination impériale s’est paré des attributs de la défense de la démocratie et du marché basé sur les préceptes du « consensus de Washington » : libéralisation, privatisation, dérégulation et respect de la propriété privée. Aux interventions militaires trop voyantes ont été préférés l’hégémonie économique et le déploiement d’un arsenal idéologique et institutionnel habillés des oripeaux de la démocratie libérale, de la coopération internationale et du droit d’ingérence « humanitaire » (tactique de l’Agence américaine pour le développement international, USAID).

Tous les gouvernements des États-Unis ont ainsi poursuivi leur politique économique néocoloniale grâce à la multiplication de traités bilatéraux de libre commerce (TLC), avec l’Amérique centrale, la République dominicaine, le Nicaragua, le Chili, le Pérou et la Colombie (traité en discussion au Congrès). Ces traités renforcent la soumission de nombreux peuples, travailleurs et territoires au bon vouloir des multinationales du Nord, tout en intégrant toujours davantage les économies latino-américaines dans des relations de dépendance, notamment pour l’exportation de leurs matières premières : minerais, produits agricoles...

L’Union européenne a emprunté la même voie et est devenue le premier investisseur étranger en Amérique latine (devant les USA) et un acteur important dans les processus de privatisation-transnationalisation du système financier et de l’or bleu (l’eau). Elle a aussi su imposer, comme les États-Unis, des traités et « accords d’association », qui alimentent les résistances des populations car ils ont des conséquences non seulement sur les systèmes politiques de la région, mais aussi des effets de destruction écologique et de déstructuration sociale inédits par leur ampleur. La récente révolte des communautés indigènes natives de l’Amazonie péruvienne, réprimée dans le sang par le gouvernement d’Alan Garcia, est avant tout un refus de la marchandisation de la forêt découlant des TLC signés avec les États-Unis et avec la Chine, et prévue dans l’Accord d’association bilatérale avec l’Europe.

Expansionnisme militaire

Cette logique est accompagnée d’un volet militaire. De fait, la présence yankee s’est diversifiée et modernisée avec, notamment, le projet de création d’une « force militaire sud-américaine » contrôlée par le Pentagone (sorte « d’Alca militaire ») ou par l’influence omniprésente du commandement Sud de l’armée des États-Unis, aujourd’hui basé à Miami. L’ogre du Nord participe activement à l’armement de certains pays, dont ses deux principaux alliés stratégiques : le Chili et surtout la Colombie, qui est le quatrième destinataire d’aide militaire des États-Unis dans le monde. Le plan Colombie est un véritable plan de guerre contre-insurrectionnel dissimulé en « guerre à la drogue ». L’Initiative Merida, sur le modèle du plan Colombie, s’applique au Mexique et en Amérique centrale. De même, le plan Puebla Panamá, avec ses mégaprojets d’infrastructures pour relier, par des couloirs logistiques et biologiques, le Mexique et l’Amérique centrale, ainsi que l’« Initiative pour l’intégration de l’infrastructure sud-américaine » (IIRSA) participent de l’affirmation impérialiste dans la région.

Mais les velléités interventionnistes des USA ont été largement confirmées lors de la tentative de coup d’État, en avril 2002, contre le gouvernement d’Hugo Chavez et aussi lors du coup d’État le 28 juin dernier au Honduras. Les discours contredisent les actes de l’administration Obama : on constate que les États-Unis ont déclaré, dans un premier temps, « illégal » le coup d’État, et appelé ensuite à la négociation avec le gouvernement putschiste en maintenant l’aide et les conseillers militaires. Le rôle joué par l’Union européenne au Honduras est tout aussi ambiguë, puisqu’on attend encore qu’elle se prononce contre toute élection qui serait organisée par le gouvernement putschiste ou qu’elle suspende son aide économique, dans un contexte de grande répression du mouvement populaire.

De fait, quatorze bases américaines sont installées en Amérique latine et aux Caraïbes. Elles sont situées sur les territoires de pays alliés, sauf Guantanamo à Cuba (base militaire américaine depuis 1903) et encerclent le Venezuela, la Bolivie et l’Équateur. Le Pentagone ainsi que le ministère de la Guerre des États-Unis viennent de décider d’en installer sept sur le sol colombien, après l’initiative prise par le Président équatorien Rafael Correa d’ordonner la fermeture de la base de Manta en Équateur. Cette dernière était le principal centre d’espionnage électronique et satellitaire du Pentagone en Amérique du Sud. Pour pouvoir maintenir son contrôle dans la région, l’administration Obama a renoué avec la doctrine de la Sécurité nationale – appelée aujourd’hui « Sécurité hémisphérique » – qui propose d’isoler n’importe quel gouvernement qui contrarierait les intérêts de Washington, comme par exemple le gouvernement bolivarien au Venezuela (qui n’a pourtant jamais pratiqué d’expropriation majeure de capital transnational en dix ans de « révolution bolivarienne »). En 2008, l’armée US a réactivé la quatrième flotte aéronavale avec l’intention « de combattre le terrorisme », les « activités illégales ». Tout cet ensemble correspond donc clairement à un message de guerre.

Plus que jamais, mettre en action notre internationalisme

En France, notre solidarité passe par le soutien aux revendications des travailleurs, des mouvements sociaux et des peuples indigènes d’Amérique latine et des Caraïbes qui luttent et exigent le retrait total des bases militaires étrangères sur leurs territoires. Nous appuyons particulièrement les revendications du Front national de résistance hondurien qui souhaite poursuivre le processus de démocratisation entamé sous Zelaya (le président déchu) et appelle au maintien de la revendication d’Assemblée constituante dans un pays où la Constitution est l’une des plus antidémocratiques au monde. Nous exigeons l’arrêt des persécutions et la libération de tous les prisonniers politiques qui résistent aux oligarchies locales alliées des impérialistes, ainsi que l’abolition de tous les traités qui menacent les peuples, leurs territoires et leur environnement. Nous participerons ainsi au contre-sommet organisé à Madrid en mai 2010 durant le Sommet des chefs d’État d’Europe et d’Amérique latine afin de soutenir le combat unitaire des deux côtés de l’Atlantique contre les transnationales et les traités de libre-échange.

Franck Gaudichaud et Flavia Verri