Djiby, 35 ans, est mauritanien.Il a été l’un des porte-parole des 88 grévistes de Man BTP, une agence d’intérim du bâtiment du 10e arrondissement. La grève y a été menée par Solidaires et Droits devant!!
Djiby est arrivé en France en 2000. Il a d’abord travaillé au noir comme déménageur, puis quelques mois dans un magasin de produits exotiques dans le 20e arrondissement. Il a été ensuite agent de sécurité dans des grandes surfaces, mais l’agence qui l’employait l’a licencié car il n’avait pas de papiers. Djiby trouve alors un travail dans le bâtiment car « c’est plus facile de travailler avec une fausse carte dans le bâtiment ». Il devient coffreur-boiseur intérimaire pour Man BTP.
Solidaires et Sud Rail, sollicités par des intérimaires sans papiers de Man BTP, aident ces derniers à organiser et à lancer une grève à l’été 2008. Djiby, qui faisait partie des occupants de la Bourse du travail – il a été l’un des délégués de la CSP 75, qu’il a rejoint en 2003 – participe à la grève dès le premier jour : il pense avoir plus de chances d’obtenir des papiers par la grève qu’en restant à la Bourse du travail.
Djiby a vécu à l’est du Sénégal, où il y a un important brassage culturel : cette zone a en effet des frontières avec le Mali et la Mauritanie. Lui-même a des origines maliennes et sénégalaises. Ainsi, il parle couramment six langues de la région. Cela lui facilite beaucoup la tâche au travail, et par la suite, sur le piquet de grève de Man BTP, où il est « …le lien, le noyau central qui cimente un peu les relations. Ce qui fait que les grévistes à chaque problème, ils viennent me voir ». Il devient l’intermédiaire entre les grévistes et les syndicats.
Début juillet 2008, 88 travailleurs occupent l’agence en continu – totalement puis partiellement – et Djiby est élu délégué par les autres grévistes. Un comité de soutien se forme autour des grévistes. Djiby aide à la constitution des dossiers. Il est très sollicité : à la fois par les grévistes, le syndicat et les soutiens. Un protocole d’accord est finalement signé en août pour demander la régularisation des 88grévistes. Comme tous les autres dossiers de sans-papiers intérimaires, ceux des grévistes Man BTP sont rejetés par la préfecture aussitôt après leur dépôt. Tout en maintenant la grève à Man BTP, la stratégie des grévistes et de leurs soutiens est alors de se tourner directement vers les entreprises donneuses d’ordre afin d’obtenir les contrats d’embauche en CDI ou CDD de douze mois requis pour espérer une régularisation. L’une des actions phares en direction des grands groupes de BTP est d’occuper temporairement le chantier Vinci du Cnit à la Défense.
« Vinci n’aime pas la presse, alors on a contacté toute la presse, RFI, France 2, les chaînes africaines, Arte et tout ça. Les chaînes d’outre-mer, les radios... Ils sont tous venus. On était à peu près 500 à 600 personnes. Et le groupe de la Bourse du travail aussi, on les a contactés, ils sont venus en masse. Et il y a Droits devant!!, il y a tous les grévistes, les 88 grévistes de Man BTP […] On était nombreux ! On est rentré dans le truc de Vinci. On criait ! Les gens qui travaillaient, tout le monde a laissé le matériel, tout le monde était là […], les chefs d’équipe, les chefs de chantier ils sont tous venus :« qu’est-ce qui se passe ? » Et ensuite, c’était dans un hall. ça résonnait, ça faisait… avec les tams-tams… les policiers, tout le monde était venu.
[…] On a fait presque une heure et quart de bruit. Et puis on m’a pris comme le premier à parler, pour présenter le truc […]
C’était impressionnant parce que c’était [diffusé] à la télé au Sénégal, au Mali tout ça. Ma propre famille, ma mère m’a vu en plein discours à la télé ! Donc, c’était émouvant. Et puis moi j’ai dit : « Maintenant Vinci, il est l’heure de prendre votre responsabilité, parce que nous, nous sommes des travailleurs sans papiers, et on a travaillé beaucoup avec Vinci. Nous sommes des intérimaires, ça fait des années qu’on travaille dans vos chantiers, à la préfecture ils ont dit « non, on ne vous régularise pas ». Comme vous le savez, depuis le 15 avril, il y a plus de 1 500régularisés, mais ils sont tous en CDI. Donc ils ont eu la chance d’être régularisés. Mais nous, on est un cas exceptionnel, le gouvernement, il a dit « les intérimaires on n’en veut pas ». Pour qu’on soit régularisés, il faut des CDI. « Alors, vous nous avez utilisés pendant des années, dans vos chantiers, maintenant il est temps de nous prendre en charge, de faire un CDI pour nous. » Je me rappelle, il y avait des gens de Vinci, des directeurs. Et moi je dis : « en 2003 j’ai travaillé dans un chantier à la Défense.Voilà ce bâtiment en face de moi, j’ai travaillé ici pendant des années ! Tout ce bâtiment, les murs que vous voyez là, nous les travailleurs sans papiers, on y a travaillé dans ces bâtiments-là que les touristes viennent contempler, c’est grâce à nous que ces bâtiments-là sont construits. Donc il est temps de nous payer, de reconnaître nos efforts. Donc, faites-nous des CDI ! ».
Vinci, Eiffage et Rabot Dutilleul ont fini par accorder un certain nombre de CDI. Pour les salariés restants, le mouvement décide de se recentrer sur l’entreprise de travail temporaire en s’attaquant au syndicat patronal des Professionnels de l’intérim, services et métiers de l’emploi (Prisme). Celui-ci entame des négociations avec le ministère, qui publie, le 2décembre, les premiers critères de régularisation pour les travailleurs intérimaires. Man BTP s’engage alors à fournir douze mois de travail au cours des dix-huit prochains mois. Fin décembre 2008, la préfecture de Paris accepte finalement d’examiner les dossiers des grévistes intérimaires. Le piquet de grève est levé en avril 2009. Sur les 88 grévistes, 73ont été régularisés. Dont Djiby…
Interview de Fanta Sidibé
Avant d’arriver en France, Fanta Sidibé, 30 ans, était institutrice au Mali. Elle a été la porte-parole des grévistes de MaNet, une entreprise de nettoyage dans le 11e arrondissement. Sur les huit grévistes (dont sept femmes), sept ont été régularisés, après sept mois de grève avec occupation, de mai à décembre 2008.
«Je suis arrivée en France en février 2004. J’ai accumulé des petits boulots avant d’aller à MaNet. La situation des sans-papiers, tout le monde la connaît, c’est pas facile d’avoir le boulot déjà, donc souvent on travaille avec un faux papier, le papier de quelqu’un d’autre. [...] Pour les hommes, ça va un peu, eux ils trouvent facilement du boulot. Parce qu’ils peuvent travailler dans le bâtiment et tout ça. Nous, le domaine dans lequel on travaille c’est un peu restreint. Dans les hôtels, l’aide aux personnes âgées, s’occuper des enfants, c’est des choses qui sont pas faciles. Surtout pour s’occuper des enfants. Moi, c’est un boulot que je n’ai pas voulu faire. […] J’aime beaucoup les enfants. Mais il faut savoir qu’un enfant, il peut se faire mal, et quand t’as pas de papiers, c’est un risque, s’il y a un problème avec l’enfant. […]
Mais là [chez MaNet] j’ai présenté les papiers de quelqu’un que je connaissais. ça n’a pas posé de problème. Ils ont accepté mon dossier, et puis j’ai fait une formation de trois jours, et après ils m’ont donné un contrat… mais c’étaient des contrats à temps partiel, mais en CDI. Mais, en réalité, on faisait un temps plein. Puisque c’est des hôtels où l’on ne travaillait pas à l’heure mais à la chambre. C’est-à-dire que peu importe le nombre d’heures que tu fais, c’est le nombre de chambres qui compte. Du coup, les fins de mois étaient vraiment maigres, misérables. On pouvait commencer le matin de 9 heures jusqu’à 16 h 30 ou 17 heures, pour se retrouver avec 400 à 450 euros à la fin du mois. C’était pas facile du tout. Mais on n’avait pas trop le choix non plus. Parce que si tu n’as pas de papiers, tu es obligée d’accepter certaines conditions. […] C’est-à-dire que quand on te donnait quinze chambres, ça te faisait cinq heures. En une heure, tu devais faire trois chambres ou trois chambres et demie. Alors, ça c’est quelque chose qui n’est pas possible du tout.
[…] Ils [la direction de MaNet] savaient que j’avais pas de papiers, puisque j’ai travaillé sous trois noms. […] Mais, à chaque fois que tu devais amener les papiers de quelqu’un d’autre, il fallait démissionner d’abord. Donc, tu perdais ton ancienneté et tout ça. […] À chaque fois que je venais demander quelque chose, c’est le problème sans-papiers qu’ils mettaient sur le tapis. Donc une fois je leur ai dit que certes je n’ai pas de papiers mais j’ai des droits. Et je travaille ici depuis tellement d’années, j’ai mes preuves, et j’ai dit : si vous me donnez pas mes vacances, je vais vous attaquer… c’est un droit donc vous ne pouvez pas me le refuser. Et là ils ont accepté de me donner les vacances, mais ils étaient prêts à me licencier après. ça changeait rien, j’étais prête à me battre et que je n’allais pas hésiter à les attaquer. Ils ont renoncé au licenciement. Ils me trimballaient d’un hôtel à un autre.
En grève
[…] C’est une copine qui m’a appelée. Je travaillais avec elle, on travaillait dans le même hôtel, on était toutes maliennes, mais moi je savais pas qu’elle n’avait pas de papier. Elle non plus, elle ne savait pas pour moi. Parce qu’au boulot on n’ose pas en parler. C’est un sujet qui est tabou. On ne veut pas prendre le risque. Parce que quand les employeurs [les directeurs d’hôtels] savent que tu n’as pas de papiers, directement ils appellent la société [MaNet]… Tu es virée, du coup.
[…] Je connaissais plein de copines comme ça avec qui on a travaillé. C’est moi-même qui les ai contactées, mais elles m’ont dit « non, moi j’ai mes papiers », bon, ça sert à rien de discuter. Mais après la grève, le patron les a licenciées ! On ne peut pas forcer quelqu’un non plus à faire la grève. Il faut savoir que ça n’a pas été facile, ça a été long, difficile, pénible. Mais moi, je pensais que ça valait le coup. Oui. […] Déjà quand on m’a parlé de la grève, j’ai dit: ah, ça tombe bien, parce qu’en tant que sans-papier je ne vois pas ce qui allait m’arrêter. Si c’était la seule condition pour avoir ses papiers. […] Et quand on m’a parlé de la grève, j’ai dit: je suis partante. J’ai pas hésité une seconde.
[…] Il y avait une organisation déjà sur place, puisqu’il y avait Droits Devants!! et puis la CGT. Ils avaient mis devant la porte une boîte de solidarité. […] On a eu beaucoup de soutien du côté des habitants et des élus locaux. Le maire et ses adjoints, ils étaient tous là. Les choses se sont organisées au fur et à mesure. Parce qu’il y avait un comité de soutien qui était sur place.
[…] Pour le moment je suis là-bas [chez MaNet], mais je compte chercher mieux. […] Je voudrais devenir gouvernante d’hôtel. Mais là, il me faut une petite formation, surtout en anglais. Voilà, soit réceptionniste. Mais, pourquoi pas continuer mes études ?