La thèse selon laquelle la racine de la crise économique actuelle se trouve dans l’écart croissant entre les profits et les salaires, creusé au détriment de ces derniers, est très largement répandue à gauche, y compris dans notre parti. Cela peut se comprendre. D’une part, elle est naturellement « populaire » dans le mouvement syndical et social ; d’autre part, elle conforte différents types de messages politiques, certains légitimes et d’autres moins. D’un point de vue anticapitaliste ou antilibéral, cela viendra ainsi mettre en évidence l’irrationalité et la nocivité du système en place. De son côté, le réformiste néokeynésien en conclura que pour restabiliser l’économie de marché, la solution est de convaincre, si ce n’est contraindre, patrons et banquiers à réduire les bénéfices distribués pour augmenter les salaires et investir dans la production.
Un autre type d’explication, induisant une critique autrement plus globale et profonde de la logique du capital, est cependant avancé – avec un large spectre d’approches et de nuances – par une série d’économistes marxistes et de courants politiques anticapitalistes et révolutionnaires. À très grands traits, et dit par conséquent de façon un peu triviale, le rétablissement du taux de profit enregistré au cours des années 1980 a fait long feu et, malgré l’exploitation accrue imposée aux travailleurs dans le monde entier, le néolibéralisme n’est pas parvenu à résoudre le problème structurel de rentabilité que le capitalisme, après la parenthèse du boom d’après-guerre, a de nouveau rencontré depuis les années 1960. Déduire des statistiques une tendance permanente à la hausse du taux de profit (lequel n’est pas égal au montant des profits) ne peut se faire qu’en amalgamant abusivement les résultats obtenus dans la production de biens et services avec les bulles génératrices de capitaux fictifs, dont des masses immenses viennent justement de partir en fumée. Ces bulles successives (Internet, boursière, immobilière…), tout comme le processus de dérégulation qui les a rendues possibles, ne sont en réalité que la réponse – illusoire – du système capitaliste face à la permanence de sa crise de profitabilité. Et les « dérives de la finance » ne sont ainsi qu’une conséquence logique inscrite dans la dynamique du système, dans son métabolisme même.
Ces grilles d’interprétation différentes ne conduisent pas nécessairement à des politiques différentes ; en tout cas, tel ne semble pas être le cas aujourd’hui au sein du NPA. Il est certain en revanche que sur la base du second type d’analyse, aucun rééquilibrage, aucune réforme du système un minimum réels et durables ne sont envisageables sans des confrontations et changements majeurs, comparables en ce sens aux bouleversements que la crise de 1929 a engendrés sur près de deux décennies. Dans de telles conditions, évidemment, l’alternative socialiste est la seule perspective réaliste que nous puissions défendre.
Jean-Philippe Divès
Outre l’analyse d’Isaac Johsua, développée dans le livre cité en note de son article, voir le débat engagé par François Chesnais face aux positions de Michel Husson et Alain Bihr (www.carre-rouge.org), ou encore les positions de Robert Brenner publiées dans la revue Inprecor (n° 549-550 de mai-juin 2009, www.orta-dynalias.inprec…). En anglais, à côté de contributions d’autres origines, on peut citer celles du SWP britannique à travers des articles récents de Chris Harman et Joseph Choonara dans International Socialism (www.isj.org.uk).