Publié le Lundi 5 avril 2010 à 13h04.

Quel avenir pour le syndicalisme ?

Cet ouvrage constitue une enquête passionnante au cœur des syndicats. Il s’interroge sur l’ampleur et l’origine du recul. En 1950, 43 % des salariés étaient syndiqués, aujourd’hui le chiffre est tombé à 6 %. Ce déclin est lié à la crise économique des années 1970 suivi par une offensive ininterrompue contre les salariés, qui a touché les pays industrialisés. Loin d’être un cas isolé, le syndicalisme en France subit la crise mais des mécanismes propres à la France expliquent l’ampleur du recul, sans précédent.

Ce livre démonte un certain nombre d’idées reçues. Contrairement à ce qui est souvent répété, les syndicats en France n’ont pas toujours été faibles. Les syndicats ont connu de longues périodes où ils organisaient largement la classe ouvrière. De 1917 à 1979 (en dehors de la situation particulière de la Seconde Guerre mondiale), les syndicats ont regroupé sans discontinuer au moins 15 % à 20 % des salariés. Comment expliquer l’accélération de la désyndicalisation en France, car jamais depuis le début du xxe siècle on a connu un tel recul pendant aussi longtemps ?

On explique souvent la faiblesse des syndicats en France par le « manque dedialogue social ». Les auteurs montrent au contraire que c’est l’institutionnalisation du « dialogue social » qui a contribué au déclin du syndicalisme. Les différentes lois sur la représentativité et l’action syndicale (loi du 30 décembre 1968 et lois Auroux de 1982) ont aggravé la tendance à la déconnection entre la base et les directions syndicales. En donnant certains droits aux syndicats, en encadrant et en réglementant les négociations salariés-employeurs, les gouvernements de droite et de gauche ont réussi à intégrer dans le système une bonne part des syndicalistes. Ainsi, le financement actuel des syndicats dépend bien plus de l’État et des patrons que du nombre de syndiqués. En 30 ans, alors que les effectifs syndicaux ont été divisés par trois, les appareils syndicaux se sont eux multipliés par cinq : « Quels que soient la qualité personnelle de ses dirigeants et le dévouement des derniers militants, un syndicat qui dépend des employeurs - privés ou publics - pour tout ou partie de ses ressources n’est plus un syndicat mais un agent patronal (ou un rouage de l’État) ». Cette dépendance contribue à ce que les intérêts des permanents syndicaux soient de plus en plus éloignés de ceux qu’ils sont censés défendre.

Cette critique utile a également une limite : elle réduit les syndicats à ses permanents et sous-estime l’importance de la vie syndicale. Malgré tout, de nombreuses sections syndicales de base sont des bastions de la résistance. Même s’il n’y a que 6 % de syndiqués, plus de 70 % des grèves en France sont déclenchées par des sections syndicales. On peut donc reprocher aux auteurs de souvent amalgamer le syndicat et la bureaucratie syndicale.

Les premiers à subir les conséquences de l’affaiblissement syndical sont les salariés qui voient leurs conditions de travail se dégrader fortement dans des secteurs entiers qui sont devenus des quasis déserts syndicaux. Et l’avenir ne s’annonce pas rose : l’Europe sociale n’est qu’un leurre où s’est enfermée la CES et la social-démocratie, la nouvelle loi sur la représentativité du 20/08/2008 risque également de «  consolider des privilèges syndicaux et poursuivre des buts non-avoués ». On ne peut donc que partager l’aspiration des auteurs à un renouveau du syndicalisme, de masse, unitaire, de défense réelle des intérêts des salariés. Il est évident que partout, à la base, nous devons participer à la défense et à la reconstruction de sections syndicales vivantes, actives, ouvertes, unitaires, indépendantes de l’État et des patrons.

La conclusion de l’ouvrage est décevante. Alors qu’il s’agit de reconstruire le rapport de forces face au patronat, les auteurs défendent juste d’autres « formes institutionnelles » de négociations. Reconstruire un syndicalisme attractif à la base, proche des adhérents ne s’oppose pas à l’élaboration et le combat pour une autre ligne syndicale, pour la construction d’une lutte d’ensemble. On ne peut limiter la perspective des syndicats à la seule négociation dans les entreprises, avec des « experts indépendants ». L’analyse reste dans un cadre social-démocrate. Le but est le « dialogue social » !, C’est pourtant justement lors de période de grandes confrontations sociales que le syndicalisme s’est le plus renforcé (1917-1920 ; 1936 ; 1944-47 ; 1968). Pour sortir de cette crise, le syndicalisme ne pourra pas faire l’économie du débat de fond sur les stratégies syndicales et politiques.

Antoine Boulangé