« La Voie du Tao », belle exposition visible jusqu’au 5 juillet au Grand Palais à Paris, montre à travers plus de 200 objets venus du monde entier comment s’est développé et diffusé le taoïsme, vieille pensée chinoise qui nourrit encore l’actualité. "Le taoïsme est en passe de devenir l’idéologie hégémonique du capitalisme mondial », écrivait le philosophe Slavoj Zizek (Le Monde diplomatique, mai 2005). Pour d’autres, Mao lui-même ne se serait-il pas montré plus taoïste que marxiste, du fait de ses références fréquentes à Lao-Tseu et de sa réhabilitation tardive de la médecine traditionnelle chinoise, et surtout en s’en remettant tant de fois au principe taoïste du « laisser-faire » (wu wei) ? Si Étiemble a pu parler d’un « mythe taoïste en France au xxe siècle », c’est notamment que « tout un secteur du marxisme interprète le Tao Tö King comme une prémonition de la dialectique marxiste » tandis que Claudel et d’autres écrivains catholiques ont continué d’y voir une préfiguration du christianisme… Ainsi, même sans tenir compte de ses multiples chemins de traverse, variantes ou sectes, le Tao (ou « Voie ») ne se laisse pas facilement arpenter, du moins par les Occidentaux. Tel est en somme le défi de cette exposition organisée par le musée Guimet et la RMN, appuyée par un catalogue aussi savant qu’utile, la première à présenter en Europe une sélection d’objets et de documents résumant les 2 500 ans d’histoire du taoïsme. Elle aide à comprendre pourquoi cette conception du monde marque encore les modes de vie et de pensée des Chinois d’aujourd’hui, peu d’activités humaines ayant échappé à ses préceptes qui ont donné lieu à plusieurs milliers de livres, botanique, hygiène, alchimie interne et externe, sexualité, médecine… sans parler des traités, poèmes ou romans chargés de diffuser la même sagesse. À l’origine, le Tao était peut-être seulement un art de prolonger la vie, une « Longue Marche » individuelle, sans sauveur, sans doctrine, sans Dieu ni vie future. Le contact avec le bouddhisme, dont il reprit de nombreux traits doctrinaux et iconographiques, et d’autres croyances locales ou importées, acheva d’en faire une religion, avec ses prêtres, ses moines, ses rituels, ses superstitions et ses objets magiques, pour la plupart recouverts d’inscriptions, à valeur magique elles aussi. Les visiteurs disposeront eux-mêmes de plusieurs « voies » pour aborder « La Voie », celle de la politique restant bien sûr d’actualité, quoique celle de la symbolique soit sans doute plus pénétrante. Si l’on n’est pas initié au symbolisme de l’écriture chinoise, les paysages fascinants des grands peintres taoïstes, portant à son plus haut le geste du calligraphe, offrent, avec leurs perspectives multiples, les portes d’entrée les plus aisées et libres pour approcher cette conception de l’univers. Bientôt première puissance mondiale au prix (ou au mépris) des conséquences environnementales et humaines qu’on sait et qu’on soupçonne, la Chine pourrait-elle renouer avec le sens de l’harmonie entre l’homme et la nature qui fonde principalement le Tao ? Cette exposition ne pouvait aborder cette question, mais elle y fait penser comme à une « Longue Marche » de plus.Gilles Bounoure