Publié le Jeudi 20 mai 2010 à 23h25.

Cannes : déclarons Hors-La-loi la nostalgie colonialiste !

En compétition officielle au Festival de Cannes, le second film de Rachid Bouchareb1, Hors-la-loi, est la suite d’Indigènes. C’est une fiction qui trace le parcours de trois frères et de leur mère, témoins de la répression sanglante des manifestations nationalistes algériennes de Sétif en mai 1945, leur arrivée en France et leur plongée dans le tumulte de la guerre de libération nationale. Projeté le 21 mai, ce film subit les foudres des nostalgiques de l’Algérie française. Interviewé par Minute2, Lionnel Luca, député (UMP) des Alpes-Maritimes3, craignait « que ce film ne soit présenté dans la sélection officielle française » et n’a « eu de cesse que d’alerter le Centre national du cinéma (CNC) et les ministres concernés – Anciens combattants et Premier ministre. » Lionnel Luca, Christian Kerk et Bernard Brochand4 ont donc « mis la pression tout l’hiver  ». Finalement, Hors-la-loi figure dans la sélection algérienne et non française. Comme d’autres5, Lionnel Luca n’a pu voir le film avant sa présentation le 21 mai. Ça ne l’arrête pas, puisqu’il qualifie Hors-la-loi de « révisionniste et négationniste »6 en s’appuyant sur le rapport du service historique de la Défense – commandé par le secrétaire d’État aux Anciens Combattants, Hubert Falco – qui recense « des erreurs », « des invraisemblances » et « des anachronismes » dans le scénario. Rachid Bouchareb précise sa démarche dans une lettre au Festival de Cannes7 : « Il faut qu’il soit possible que le cinéma aborde tous les sujets. Je le fais en cinéaste, avec ma sensibilité, sans obliger quiconque à la partager. » Pourtant, la campagne de dénigrement s’intensifie. Quelques jours après l’ex-OAS et toujours responsable du cercle national des combattants du Front national, Roger Holeindre, la vice-présidente du FN, Marine Le Pen, déclare : « Présenté par le pouvoir algérien et honteusement financé par le ministère de la Culture et par nos chaînes publiques à près de 60 %, ce film n’est pas une œuvre cinématographique neutre mais une œuvre de propagande »8 et condamne « la publicité faite à une production étrangère hostile à la France ». Le groupe parlementaire d’études sur les rapatriés, présidé par le député UMP Elie Aboud, s’insurge contre « l’utilisation d’argent public pour insulter la République ». Dans son édition du 30 avril, Mediapart nous informe qu’un comité « Pour la vérité historique - Cannes 2010 » « lance un appel aux parlementaires, aux élus, aux anciens combattants, aux harkis, aux pieds-noirs et aux sympathisants, pour se rassembler par milliers sur la “Croisette du 12 mai au 23 mai 2010’’ afin de demander à ce que les lois françaises soient appliquées en France “contre l’apologie du terrorisme et des crimes contre l’humanité".» Tandis que le site defrancisation.com nous apprend qu’un dépôt de gerbes, sans précédent, est organisé le 21 mai, devant le monument aux morts de l’hôtel de ville de Cannes, en présence de Bernard Brochand et de Lionnel Luca9. Il est clair que les anticolonialistes ne doivent pas baisser la garde face aux nostalgiques du « temps béni » des colonies : lorsqu’ils s’attaquent à la liberté de création ou multiplient les stèles à la mémoire des terroristes de l’OAS ; lorsque le pouvoir politique réactive la guerre des mémoires et tente d’imposer l’écriture d’une Histoire officielle. Le point de vue10 signé par des créateurs et des intellectuels, dont Gilles Manceron et Benjamin Stora, contribue à ce combat. Pour en revenir à la compétition cannoise, le jury serait bien inspiré de récompenser Hors-la-loi. Cela constituerait un sérieux revers pour Lionnel Luca, Marine Le Pen et leurs amis.Gisèle Felhendler, Gabriel Gérard 1. Son premier film Indigènes a reçu le Prix d’interprétation masculine en 2006.2. Minute, n°2458, 28 avril 2010.3. Lionnel Luca s’est déjà illustré dans les débats sur la loi du 23 février 2005, portant entre autres, sur le « rôle positif de la colonisation ». Plus récemment, il enjoignait les supporters de l’équipe tunisienne de football qui sifflaient la Marseillaise à « rentrer chez eux ». 4. Bernard Brochand est maire UMP de Cannes.5. La présidence de la République et le secrétariat d’État à la Défense et aux Anciens Combattants ont demandé au producteur de visionner le film avant la date de sa présentation officielle. 6. Le président algérien Abdelaziz Bouteflika déclarait, le 29 juin 2005, à Tlemcen, que la loi du 23 février 2005 constituait « une cécité mentale » proche du « révisionnisme ».7. Le Point.fr, 13 mai 2005.8. « Hors la Loi » la réaction de Marine Le Pen, nationpresse.info, 15 mai 2010. Concernant le financement de cette coproduction belgo-algéro-tuniso-française, même Lionnel Luca ne parle, dans Minute, que d’un financement à hauteur de 7 %.9. Le frontiste Jacques Vassieux relaie sur Nationpresse l’appel du Cercle algérianiste – lié aux l’Adimad – à se rendre à ce rendez-vous, dans le cadre d’une « mobilisation nationale contre l’instrumentalisation du Festival de Cannes par Bouteflika et le FLN algérien ». 10. « Le film Hors-la-loi de Rachid Bouchareb : les guerres de mémoires sont de retour », Le Monde. 5 mai 2010.