Publié le Dimanche 30 mai 2010 à 16h59.

Expo : Munch l’anti

La Pinacothèque de Paris1 présente jusqu’au 8 août « Edvard Munch : l’anti-Cri », une exposition qui entend rafraîchir le regard sur les inventions picturales du grand expressionniste norvégien, également connu pour ses sympathies libertaires. De loin l’œuvre la plus connue de Munch (1863-1944), le Cri ne suffit pas à résumer l’abondante production de cet artiste qui légua à la municipalité d’Oslo tableaux, dessins, aquarelles et estampes par milliers, ainsi que ses rares sculptures. Réunissant quelque 180 œuvres, la présente exposition fait suite à plusieurs autres (Albertina de Vienne en 2003, Fondation Beyeler en Suisse en 2007) où le même commissaire, Dieter Buchhart, dut aussi se passer de ce tableau qui ne sort plus de Norvège, pour avoir été volé et retrouvé deux fois ces dernières décennies (1994 et 2004). Intitulerait-on « l’anti-Joconde » ou « l’anti-Guernica » des expositions de Vinci ou de Picasso ne pouvant montrer ces tableaux ? Plusieurs commentateurs l’ont écrit, le musée privé qu’est la Pinacothèque de Paris donne plutôt à voir sous ce titre un Munch sans le Cri. Il fallut plus de 40 ans après la naissance de l’artiste, dans une famille minée par la maladie et obsédée de puritanisme luthérien, pour que son pays s’affranchisse de la coupe des Bernadotte, rois de Suède et de Norvège jusqu’en 1905, et plus de 60 pour que sa capitale se nomme Oslo et non plus Christiania ! Quand il abandonna la carrière d’ingénieur pour la peinture au début des années 1880, Munch se mit à fréquenter le cercle d’Hans Henrik Jäger, essayiste et dramaturge anarchiste, auteur d’un roman prônant l’athéisme et l’amour libre qui lui valut d’être condamné et forcé à l’exil en 1886, sous le premier gouvernement « de gauche » que la Norvège a connu. Munch le rejoignit à Paris où il fit son portrait. Cette période décisive, mise en lumière par le beau film du cinéaste libertaire Peter Watkins, Edvard Munch, la Danse de la vie (1974), explique aussi qu’il a dédié quelques toiles à l’essor du mouvement ouvrier dans son pays, particulièrement vigoureux au début des années 1910. Mais pour avoir rejeté le naturalisme avec d’autres conformismes picturaux, il assignait à son expressionnisme des ambitions moins politiques que morales, tout comme son anarchisme était moins social que philosophique, nietzschéen, pessimiste et peu clairvoyant, au point de se laisser très brièvement séduire par Goebbels, avant de se montrer fermement antinazi jusqu’à la fin de sa vie. Dieter Buchhart a raison de rappeler l’expérimentateur que fut Munch, cherchant à renouveler la peinture, par exemple en la confrontant avec la photographie et le cinéma. Cela ne peut faire oublier qu’à l’instar du Cri, ses œuvres majeures furent conçues comme des « tableaux tirés de la vie moderne de l’âme » ainsi qu’il intitula d’abord sa Frise de la vie, « ode à la vie, à l’amour et à la mort » où il dénonce clairement la misère psychologique de l’Europe de son temps. En quoi Munch fut « anti », comment son œuvre reste animée par la révolte, c’est ce que permet de voir aussi cette exposition, prolongée jusqu’au 8 août. Gilles Bounoure1. Pinacothèque de Paris, 20 place de la Madeleine, Paris 8e.