Publié le Mercredi 30 juin 2010 à 19h37.

Syndicalisme : la nouvelle donne

 

La combativité des équipes syndicales se heurte souvent à la répression antisyndicale des patrons et du gouvernement et aux politiques de négociations mises en œuvre par les directions des confédérations. Un syndicalisme de lutte de classes reste d’autant plus nécessaire.

Dans ce pays, le syndicalisme vit un grand écart. Au jour le jour, des militants luttent contre le gouvernement et les patrons qui tentent de supprimer les acquis et portent de nouvelles attaques, notamment sur l’emploi : fermetures d’entreprises, suppressions de postes, précarisation des statuts, dégradations des conventions collectives, des horaires et des conditions de travail, licenciements individuels…

Cette situation s’est accentuée depuis la crise de septembre 2008 et l’effet d’aubaine que cela a représenté pour le patronat. Les droits syndicaux sont aussi mis à rude épreuve. Pour mener à bien cette politique de destruction sociale, gouvernement et patronat ont aussi accentué, ces derniers temps, une pratique ancienne qui consiste à essayer de briser, corrompre, décourager ceux et celles qui, sans relâche, mènent le combat contre ces attaques et sont en première ligne : les équipes syndicales combatives. Ils sont des dizaines de milliers de syndicalistes, dévoués et actifs, ne comptant ni leurs heures ni leur énergie pour soutenir, défendre, organiser leurs camarades de travail. Ils se retrouvent derrière diverses étiquettes syndicales, tant il est vrai que, ramenées au niveau de l’entreprise, elles ne veulent parfois pas dire grand-chose. Ces militants peuvent souvent se sentir isolés, démunis devant des attaques organisées, concertées, relayées par les grands moyens de propagande.

Démunis car d’autres, bien sûr, dans ces mêmes entreprises n’ont parfois de délégués que le nom, prompts à suivre les directives du patronat, à signer des accords avec la certitude d’être protégés ou de faire carrière.

Cette différence est un des facteurs, en plus de la division et des reculs sociaux subis sur de grandes questions (retraites notamment), qui expliquent sans doute que les syndicats sont en perte de vitesse : baisse d’adhésions, d’équipes militantes qui s’impliquent, faible syndicalisation des jeunes, malgré une participation souvent importante aux élections professionnelles.

Les directions des confédérations syndicales nationales ne sont guère une aide dans ce bras de fer avec le patronat ou le gouvernement, car elles ont pris beaucoup de distance par rapport à la lutte qui se mène au quotidien au sein des entreprises publiques comme privées. Mis à part leur participation à la victoire du CPE où elles étaient poussées par la jeunesse, et auparavant le mouvement de 1995 qui a démarré par des mobilisations de branche puissantes, elles ont abandonné toute volonté de construire un rapport de forces tel qu’il déclenche une crise politique menaçant le pouvoir politique et patronal, ce qui est devenu nécessaire aujourd’hui pour arracher des avancées. C’est bien pourtant de cela que nous aurions eu besoin lors des cascades de luttes contre les licenciements et les fermetures d’entreprise, lors de la privatisation de la poste… et, aujourd’hui encore, avec la nouvelle attaque contre les retraites et la politique de rigueur promise par Fillon.

A fortiori, ces directions ne cherchent plus à remplir une des tâches fondamentales du syndicalisme : partir des revendications pour déboucher, par les nécessités mêmes de l’action et de la prise de conscience, sur une remise en cause du capitalisme, de la propriété privée des moyens de production, sans laquelle l’émancipation des travailleurs reste un vague slogan. Cet abandon stratégique amène aussi à un abandon de la lutte déterminée et de la mobilisation pour faire mettre genou à terre au patronat et au gouvernement. Les directions syndicales voient trop souvent dans le patronat et le gouvernement des « partenaires sociaux » avec lesquels il est possible, concernant la Sécurité sociale, l’emploi, les retraites ou la représentativité syndicale, de faire des « diagnostics partagés ». C’est cette orientation qu’ont prise les grandes confédérations et fédérations syndicales, notamment la CGT et CFDT qui ont rédigé la loi de 2008 déposée par Sarkozy concernant les nouvelles règles de représentativité.

Ainsi, depuis trois ans, les directions syndicales reculent face à l’offensive de la droite sarkozienne, dont elles ont accepté de négocier le calendrier des contre-réformes (et, pour certaines, de les signer).

La double besogne du syndicalisme

Le syndicalisme a pour point de départ les intérêts immédiats des salariés et la recherche de l’union contre la division qui fait la force du pouvoir patronal. Mais dans son action, il ne doit se fixer aucune limitation a priori : sa seule obligation est le respect du pluralisme existant dans la classe ouvrière et la volonté de rassembler une force majoritaire pour agir.

Le rôle premier des syndicats est d’organiser, de la façon la plus large possible les travailleurs d’une entreprise, les salariés quels que soient leurs métiers, leurs statuts, leurs idées. La conséquence logique est de tenter d’organiser – lorsqu’on est sur un même site d’activité, dans une même branche – tous les salariés (quelle que soit leur entreprise), au sein du même syndicat ou de la même fédération, cassant ainsi toutes les divisions créées par le patronat.

Le fondement de l’existence du syndicat est évidemment la défense intransigeante des intérêts des salariés face au patron ou à l’État patron, ce qui amène logiquement à la compréhension commune de l’exploitation capitaliste, de la nécessité pour les salariés de s’organiser de manière indépendante pour la défense de leurs intérêts de classe, contradictoires à ceux des capitalistes ou de leurs mandants dans les entreprises. Sur ces bases, les syndicats doivent chercher à rassembler le maximum de travailleurs, à éviter l’éparpillement syndical, à constituer aussi souvent que possible un front unique de l’ensemble des salariés et des syndicats sur des bases de classes et d’actions collectives.

C’est donc bien un rapport de forces politique et social d’ensemble qui se crée dans les entreprises, et en dehors des entreprises, entre les syndicats et courants syndicaux qui luttent contre le capitalisme, avec le parti ou les partis qui mettent cette lutte au cœur de leur politique.

Nous sommes aujourd’hui confrontés à une offensive patronale sans limite, relayée, amplifiée par le gouvernement. Il apparaît en même temps aux yeux du plus grand nombre que les partis de la gauche traditionnelle, dans la gestion des villes, des départements, gèrent aussi le système en acceptant les règles fixées par la classe dominante. Les dirigeants des grandes confédérations syndicales, y compris ceux de la CGT, ont baissé la garde devant l’offensive du Medef qui s’est déployée depuis la « refondation sociale » de 1999-2000 et s’est largement concrétisée depuis l’arrivée de Sarkozy. La bataille nationale pour les retraites, en 2003, aura été la dernière lutte où la direction CGT est apparue en résistance aux yeux des travailleurs, après la trahison de la CFDT qui a approuvé le plan Fillon. Depuis, craignant l’isolement et la remise en cause de sa place institutionnelle, elle n’avance que lorsque ses partenaires sont prêts à avancer avec elle (il en fut ainsi lors de la mobilisation victorieuse contre le CPE), privilégiant un axe CGT-CFDT durable. Elle se garde bien de tracer un programme revendicatif anticapitaliste qu’elle pense désormais hors de portée. La position prise sur le dossier des retraites en est un exemple évident avec le refus d’engager une épreuve de force contre le gouvernement.

Dès lors, l’action syndicale de lutte de classe est trop souvent renvoyée à l’action menée par les sections d’entreprises ou les unions locales. Cette action de lutte de classe nécessite pourtant, pour être efficace, à la fois une convergence des courants critiques internes aux confédérations, qui doivent faire la preuve pratique de leur efficacité, et en même temps la défense d’une unité syndicale nationale plus efficace et plus durable que la seule unité ponctuelle. Cette unité doit rassembler les forces qui agissent en défense des revendications du monde du travail qui se trouvent essentiellement au sein de la CGT, de Solidaires et de la FSU.

Sylviane Charles, Léon Crémieux