Longtemps réfugié politique en France, le peintre le plus turbulent de la « figuration narrative » vient de présenter à Paris un livre et une exposition où il déploie à nouveau toute sa verve et tout son punch, même à propos de ses propres contradictions. A peine installé en France et établi comme peintre, Arroyo se faisait connaître par des tableaux mettant à mal les faux grands hommes et vrais bouchers du présent et du passé, en premier lieu Franco, mais aussi Napoléon ier (réduit à Six laitues, un couteau, trois épluchures, 1965) ou même les massacrant en effigie (Quatre dictateurs éventrés, 1963). Il y eut aussi Vivre et laisser mourir ou la fin tragique de Marcel Duchamp, œuvre « maoïste » qu’il élabora avec Gilles Aillaud et Antonio Recalcati du vivant même de Duchamp, et dont le succès de scandale fut colossal. La violence n’est pas aussi débridée dans la Collection printemps-été automne-hiver qu’il présente à la galerie Louis Carré, mais il est significatif que cette série de 59 œuvres peintes en 2009, s’ouvre sur des portraits flanqués de sardines, allusion probable à Goya évoquant la joie des Madrilènes au départ des Français, mais aussi sans doute à cet autre Enterrement de la sardine qui fêta en 1977 la mort de Franco. Arroyo ne proclame pas pour rien son amour de la boxe, tant ses œuvres ont fréquemment pour ressorts l’affrontement, la contradiction, la rétorsion ou le renversement. Ce principe se retrouve dans la plupart des tableaux, collages et dessins de cette exposition, avec de réjouissants portraits de Mao Tse Tung, de Groucho Marx et même de l’Homme invisible, ou plus clairement encore avec un chandelier renversé formant un visage et qu’il a intitulé La Vie à l’envers. Son recours à des matériaux insolites comme le papier de verre ou à des techniques en voie de disparition comme la peinture à l’huile procède du même esprit de contradiction. Cette verve et ce punch permanents qui ont fait d’Arroyo le scénographe et décorateur de théâtre préféré de Klaus Michael Grüber, il n’est pas étonnant de les retrouver dans son dernier livre, dont la couverture s’orne d’une autre de ses provocations, Habillé descendant l’escalier (1976) sur la tête et de profil, critique clownesque du fameux Nu descendant l’escalier de Duchamp (1913). C’est qu’Arroyo est aussi écrivain. Le journalisme fut même sa vocation première, et il se pourrait que ce goût des phrases et des mots soit l’un des traits distinctifs de sa peinture. Plus nettement autobiographique que ses ouvrages précédents, Minutes d’un testament éclaire beaucoup d’aspects de cette personnalité révoltée, érudite et iconoclaste, et remarquablement consciente de ses propres contradictions. S’il développe parfois des positions réactionnaires (déclarant ainsi au Monde, le 4 juin, « il ne reste rien de ce à quoi je croyais… »), par provocation ou par désespoir, il n’oublie jamais que, « né sous Franco », il n’a jamais pu s’accommoder de l’existence « des militaires et des curés ». Il relate par exemple (p. 390) comment, voulant renouveler son permis de séjour en France, il s’est trouvé au commissariat du 16e arrondissement soumis au même régime indigne que les « sans-papiers » parisiens, et comment il s’est rebellé et échappé, parce qu’il avait « la chance de pouvoir le faire »… Gilles BounoureGalerie Louis Carré, 10 avenue de Messine, 75008 Paris (jusqu’au 10 juillet). Eduardo Arroyo, Minutes d’un testament, Grasset, 412 pages, 21,50 euros.