Publié le Mercredi 4 août 2010 à 13h27.

Petite enfance, la fin de l’accueil collectif ?

 

Le récent passage en force du gouvernement contre les professionnelEs de la petite enfance manifeste la volonté de la droite de liquider l’accueil collectif des jeunes enfants et, au-delà, l’école maternelle.

L’accueil collectif des tout-petits était pourtant déjà le parent pauvre des modes de garde.

Sa destruction est aussi une attaque en règle contre un salariat féminin qui s’est professionnalisé à partir d’un nouveau regard sur le jeune enfant dans les années 1970.

À la fin du xixe siècle, les courants de pédagogie active avaient développé dans les jardins d’enfants une approche fondée sur la reconnaissance des potentialités de l’enfant et un accompagnement pédagogique à partir du jeu. Ces jardins d’enfants ont été ensuite progressivement institutionnalisés et ont conduit à la généralisation des écoles maternelles en France et au développement de la scolarisation dès deux ans.

Après 1945, les crèches se sont développées avec la volonté de limiter la mortalité infantile. C’est une approche hygiéniste de la puériculture qui s’est mise en place pour répondre aux besoins sanitaires et de garde.

Ce n’est qu’à partir du milieu des années 1970 que les structures de garde sont devenues des lieux d’accueil. L’après-68 comme l’évolution des connaissances sur le jeune enfant, la reconnaissance du jeune enfant comme une personne dès sa naissance ont été déterminants pour une pédagogie centrée sur un éveil individuel de chaque enfant et le passage à une prise en charge de l’enfant, pensée en lien permanent avec ses référents familiaux, son contexte social et culturel (continuité éducative dans la discontinuité des lieux de vie de l’enfant).

Détruire l’accueil collectif, détruire la maternelle

En France, 12 % des moins de 3 ans sont accueillis en établissement d’accueil et 32 % des moins de 3 ans sont accueillis par des assistantes maternelles.

La couverture globale est d’environ 44  %. Il manque 400 000 places en crèche.

La priorité est accordée au mode de garde individuel où les femmes sont les moins qualifiées (60 heures de formation), isolées à domicile, sans relations sociales professionnelles et dans une relation de gré à gré avec le parent employeur.

La branche famille de la Sécurité sociale consacre ainsi cinq fois plus d’argent à l’accueil individuel qu’à l’accueil collectif (en 2007 : 5,5 milliards pour les assistantes maternelles, 3,3 milliards pour le congé parental, 1,8 milliard pour l’accueil collectif).

Le décret Morano a pour but de liquider l’accueil des jeunes enfants.

Faire passer la possibilité d’inscriptions en surcapacité de 10 % à 20 % dans les établissements, et introduire une plus grande proportion de personnels moins qualifiés va remettre en cause les évolutions pédagogiques engagées il y a 30 ans.

De la même manière, là où il existe, l’accueil collectif des enfants de 2-3 ans risque de basculer vers les jardins d’éveil avec des normes d’encadrement largement dégradées (d’un adulte pour huit à un pour douze).

Ces jardins d’éveil payants ont aussi pour fonction de liquider la scolarisation gratuite des plus jeunes déjà bien entamée (moins de 20 % scolarisés aujourd’hui) avec les dizaines de milliers de suppressions de postes d’enseignants ces dernières années.

Parallèlement à ces mesures qui risquent de profondément transformer la réalité de l’« accueil » collectif, la droite a voté une loi créant des « maisons d’assistantes maternelles ». Le gouvernement avait déjà décidé de passer de 3 à 4, le nombre d’enfants pouvant être accueillis par celles-ci. La nouvelle loi permet de créer des structures d’«accueil » collectif à raison de quatre assistantes maternelles (et seize enfants) regroupées sans aucun accompagnement par d’autres professionnelles qualifiées.

À la place d’un accueil collectif réglementé, financé en partie par des collectivités locales et assuré par des professionnelles qualifiées, la droite installe un accueil par des professionnelles peu qualifiées dans une relation de gré à gré avec le parent employeur.

La directive européenne sur les services pourrait parachever l’édifice. Au nom d’une « concurrence non faussée », on pourrait supprimer toute norme d’encadrement pour les établissements d’accueil et remettre en cause les financements publics aux structures publiques.

D’ores et déjà, des municipalités de droite privatisent des structures municipales, d’autres « de gauche » en confient la gestion à des entreprises privées par « délégation de service public ». Les critères de rentabilité des entreprises privées sont en contradiction avec le bien-être des enfants et des salariéEs.

Professionnelles ou bonnes à s’occuper des enfants ?

Les attaques répétées, contre les crèches et maternelles, rognent les acquis de la lutte des femmes pour leur autonomie. Les femmes ont obtenu le droit de travailler et de ne plus être confinées à la maison pour garder les enfants et assumer les tâches domestiques.

Il manque 400  000 places d’accueil collectif et les femmes qui ne peuvent payer un accueil privé n’ont d’autre choix que de rester chez elles. Après cette exclusion temporaire de la vie sociale, il est plus difficile de retrouver un emploi, et encore plus un emploi qualifié.

Le manque de places en accueil collectif accentue les inégalités entre hommes et femmes, et entre femmes des milieux aisés et celles des classes populaires. Rareté et cherté des modes d’accueil ont souvent raison des calculs budgétaires des parents aux salaires modestes et font chuter le taux d’activité des mères.

Les métiers de la petite enfance restent peu connus. L’une des raisons tient très clairement aux représentations patriarcales : quoi de plus naturel pour une femme que de s’occuper d’enfants ? Ces métiers sont largement occupés par des femmes issues de catégories populaires.

S’appuyant sur l’idéologie patriarcale, qui considère le travail en crèche comme un « emploi féminin » où « l’instinct maternel » primerait sur le diplôme, la droite veut un peu plus dévaloriser et sous-payer le travail auprès des jeunes enfants.

L’accueil des jeunes enfants, d’autres possibles

Le Danemark couvre presque totalement la demande. Les Danois bénéficient d´un congé de maternité de 52 semaines à répartir entre les deux parents. En conséquence seulement 15 % des enfants de moins de 1 an fréquentent des organismes d´accueil, mais ce chiffre atteint 85 % pour les enfants âgés de 1 an et 89% pour les enfants âgés de 2 ans.

La Suède a mis en place l’équivalent d’un service public garantissant à tous l’accueil de qualité des tout-petits (un adulte pour trois enfants). Et ce, dès la fin d’un congé parental d’une année accessible pour le père ou la mère, et de façon quasi gratuite, jusqu’à la scolarité.

Les effets d’un accueil de grande qualité des tout-petits sont bénéfiques sur les résultats scolaires. C’est tout particulièrement le cas pour les catégories populaires et les enfants issus de l’immigration.

Le développement du service public gratuit de la petite enfance a des effets immédiats sur la « sortie de pauvreté » des femmes (nombreuses salariées à temps partiel au revenu proche du seuil de pauvreté). Pour les femmes seules également, elle se traduit par une diminution des ruptures de carrière pénalisantes pour l’emploi, les salaires, et leurs retraites.

Enfin, cette « défamiliarisation » de l’accueil des tout-petits a des effets sur l’implication familiale : plus la mère travaille dans un couple, plus cela agit sur la répartition des tâches.

« Pas de bébés à la consigne », un mouvement inédit

Les établissements d’accueil de jeunes enfants ont des réalités multiples. Très développés dans certaines collectivités comme à Paris, quasi inexistantes ailleurs, des établissements sont publics, d’autres associatifs/parentaux. Depuis quelques années se développent aussi de nombreuses entreprises de crèches à but lucratif.

Des mouvements de salariéEs d’établissements d’accueil ont eu lieu ces dernières années notamment à la Ville de Paris en 2006 et 2008.

Le plus souvent ces mouvements revendiquent des effectifs supplémentaires et de meilleurs taux d’encadrement. Car la souffrance psychique/physique au travail des professionnelEs est bien réelle, liée au stress et aux conséquences physiques des gestes et postures liés à ces métiers.

En raison de la grande diversité des situations et des statuts, jamais aucun mouvement national n’avait eu lieu dans ce secteur.

La création, en 2009, du collectif unitaire « Pas de bébés à la consigne », regroupant des syndicats de la petite enfance, des associations professionnelles (de métier) sans réelle tradition de lutte, des associations familiales et féministes, a été déterminante dans la mise en mouvement des salariéEs de la petite enfance.

Ce « LKP » de la petite enfance est peu à peu devenu un cadre de référence pour les salariées et les parents, permettant d’engager de multiples actions et d’accumuler des expériences, en construisant aussi des rapports de confiance entre les organisations qui le composent.

Le mouvement a été inédit par son caractère national et public/privé, par la présence massive de jeunes salariées, mais aussi par l’humour et la dérision utilisés dans les manifestations et les actions. Des collectifs se sont créés un peu partout.

Dans un contexte général dégradé pour les salariées, il semblait difficile pour les salariées de ce secteur de gagner seules. En l’absence de mouvement d’ensemble ou même d’une jonction avec les personnels de l’Éducation nationale, Nadine Morano a publié sont décret en juin 2010.

Cependant, ce mouvement a permis de faire de l’accueil des jeunes enfants une question politique majeure. Il a mis sur le devant de la scène des salariées invisibles jusqu’alors, salariées qui ont connu pour beaucoup leur première expérience de lutte.

Guillaume Floris