Publié le Dimanche 8 août 2010 à 11h41.

Europe : le maillon faible ?

 

Les mensonges de Sarkozy et de la plupart des commentateurs « autorisés » sur le fait que la crise serait bientôt derrière nous apparaissent désormais pour ce qu’ils sont. La crise de la dette grecque n’est qu’un moment d’une crise générale de surproduction, qui place les banques et les États qui les ont soutenues en première ligne, et l’Europe au cœur de la tourmente.

Le 31 décembre 2009 au Palais de l’Élysée, Nicolas Sarkozy présentait ses vœux :

« L’année qui s’achève a été difficile pour tous. Aucun continent, aucun pays, aucun secteur n’a été épargné. La crise économique a imposé de nouvelles peines, de nouvelles souffrances, en France comme ailleurs. Je pense en particulier à ceux qui ont perdu leur emploi. Cependant notre pays a été moins éprouvé que beaucoup d’autres. Nous le devons à notre modèle social qui a amorti le choc, aux mesures énergiques qui ont été prises pour soutenir l’activité et surtout pour que personne ne reste sur le bord du chemin […]

« Mes chers compatriotes, même si les épreuves ne sont pas terminées, 2010 sera une année de renouveau. Les efforts que nous faisons depuis deux ans et demi vont porter leurs fruits. Dans ce moment si crucial nous devons rester unis comme nous avons su l’être au plus fort de la crise. »

Sauver les banques…

Quel chef-d’œuvre de démagogie ! Sarkozy veut nous faire croire qu’il pense en particulier à ceux qui ont perdu leur emploi… Que sait-il des peines et des souffrances des classes populaires, lui qui passe ses vacances avec ses amis milliardaires Bolloré, Bouygues et Lagardère ? Il sait une chose, c’est qu’il a peur que nos peines, nos souffrances, nos humiliations se transforment en colère, en révolte.

Sarkozy ment, car il sait que l’année 2009 a vu une explosion du chômage. Les patrons ont fait du chômage technique et des licenciements records pour rétablir leurs profits. Ils ont mis un nombre record d’entreprises en faillite. Le taux de chômage officiel est passé de 8 à 10 %, les chômeurs de longue durée de 700 000 à 1,3 million et, pire encore, le nombre de chômeurs en fin de droits a augmenté de 35 %. En 2010, 1 million de demandeurs d’emploi vont perdre leurs droits à l’assurance chômage.

En France comme ailleurs en Europe, les « mesures énergiques » prises en 2009 par les gouvernements visaient principalement deux objectifs. D’une part, essayer de consolider un système bancaire craquant de partout sous le poids des dettes accumulées par les consommateurs, les entreprises et les États depuis les années 1980. D’autre part, éviter une récession trop profonde en stimulant la demande. Le seul levier disponible était d’endetter les États.

En un an, l’endettement des États rapporté au produit intérieur brut (PIB) est passé de 60 % à 90 %. Dans le même temps, le ralentissement de l’économie, la baisse de la production, du commerce et de la consommation et la montée du chômage ont fait fondre les recettes. Hausse des dépenses pour sauver les banques et stimuler la demande d’un côté et baisse des recettes de l’autre. Cela signifie une nouvelle augmentation du déficit. En France, le déficit est passé de 2,7 % du PIB à 7,8 % en 2009. Pour continuer de fonctionner, les États n’ont pas d’autre solution que de s’endetter à nouveau pour combler le déficit. Si, comme le disait Sarkozy, 2010 sera une année de « renouveau », il s’agira d’un renouveau de la crise.

Une crise « américaine » ?

Depuis 2007, les économistes bourgeois de droite comme de gauche nous répétaient que c’était une crise américaine. On l’appelait d’ailleurs « la crise des subprimes ». Dimanche 9 mai 2010 à Francfort, Jean-Claude Trichet, le président de la Banque centrale européenne (BCE) a dû finalement avouer publiquement une demi-vérité : la crise est maintenant une crise de l’euro. La zone euro est une zone monétaire qui regroupe seize pays qui ont fait le choix de l’euro comme monnaie unique, soit 322 millions d’habitants en Allemagne, Autriche, Belgique, Chypre, Espagne, Finlande, France, Grèce, Irlande, Italie, Luxembourg, Malte, Pays-Bas, Portugal, Slovénie, Slovaquie.

En 2009, le PIB de la zone euro a chuté de 4 %. Depuis janvier 2010, l’euro a perdu 17% de sa valeur contre le dollar. Il a fallu un premier plan de sauvetage de la Grèce, puis un plan de sauvetage de l’euro de 750 milliards d’euros.

Mais l’incompréhension est générale. La confusion des esprits sur les causes et les conséquences de la crise atteint ainsi des sommets dans la note économique de la CGT n°129, publiée fin mai 2010 : « l’instabilité croissante des marchés financiers témoigne du fait que des centaines de milliards d’euros de l’argent public mobilisé depuis un an et demi pour sauver les financiers et les banquiers n’ont pas mis fin aux causes profondes de la crise en cours, à savoir la déflation salariale et la suraccumulation de capitaux financiers. »

Cette analyse est fausse, et d’une analyse fausse ne peuvent émerger que de fausses solutions. La crise actuelle est une nouvelle forme particulière de crise classique du capitalisme, comme Karl Marx l’a analysée1. La recherche du profit maximum pousse à produire toujours plus de marchandises et ceci peut conduire à une crise générale lorsque la production excédentaire n’est plus absorbée par la consommation. La surproduction apparaît. La suraccumulation de capital comme la surproduction de marchandises sont des conséquences de la crise et non des causes.

La déflation salariale est une des façons d’accroître la plus-value mais n’est pas une cause en soi. Pour Marx et pour les marxistes, la seule véritable cause de la crise c’est l’accroissement incessant de la plus-value pour réaliser le profit maximum. Ce n’est pas la spéculation en tant que telle qu’il faut mettre en cause car même si elle est choquante, ce n’est qu’une autre façon d’accroître la plus-value. Mais la direction de la CGT a depuis longtemps jeté Marx aux orties. Au lieu de parler d’une crise européenne, la CGT parle d’une crise grecque et, pire encore, elle veut à toute force montrer que la France et les autres pays de l’Union européenne n’y sont strictement pour rien : « N’étant pas à l’origine de la crise, la France, comme les autres pays de l’Union européenne, en subit pourtant plus fortement les conséquences. »

Elle reprend en fait la même analyse que Jean-Claude Trichet : « À présent la croissance économique est plus forte aux États-Unis et en Asie. Par contre, la reprise économique est médiocre et fragile en Europe. L’Europe qui n’a pas été à l’origine de la crise, subit plus lourdement ses conséquences. Ce déséquilibre ouvre de nouvelles occasions pour les spéculateurs, tant en ce qui concerne les titres émis par les États qu’en ce qui concerne les taux de change. En effet, parallèlement à la spéculation sur les titres d’État, l’euro a fait aussi l’objet d’une spéculation à la baisse. Cette vague spéculative est fondée sur les menaces de l’éclatement de la zone euro, voire sur l’existence même de la monnaie unique.»

L’Europe et le commerce mondial

La théorie d’une économie idéale fondée sur des marchés en équilibre est au cœur des analyses de la CGT comme de la BCE. Cette fiction de l’économie bourgeoise est presque tenable dans les périodes d’expansion où les marchés sont proches de l’équilibre mais en période de crise, elle est totalement incapable de rendre compte des événements. Pour comprendre la crise de la zone euro, repartons de l’analyse de Marx. Le phénomène caractéristique des crises est l’apparition d’une surproduction de marchandises. On devait donc logiquement trouver une forte chute du commerce mondial. Et c’est le cas. Pascal Lamy, socialiste français et directeur général de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) nous apprend qu’en 2009, le commerce mondial s’est effondré de 12 % !2

Les seize pays de la zone euro sont les premiers contributeurs mondiaux au commerce mondial : ils pèsent ensemble 29 % du commerce mondial. On comprend pourquoi une crise de surproduction de marchandises a un impact bien plus fort dans la zone euro qu’aux États-Unis, qui ne pèsent que 10 % dans commerce mondial, ou qu’en Chine qui en représente 8,5 %. La mauvaise santé des économies de la zone euro inquiète Barack Obama et les dirigeants chinois. Ils incitent les gouvernements à agir plus fermement, mais cela s’avère compliqué.

Ces seize pays ont une monnaie unique, mais des intérêts divergents. Au-delà de leurs divergences, leurs classes dominantes et leurs gouvernements sont d’accord sur une seule chose, les classes populaires vont payer cash, au prix fort, la totalité la facture de la crise du capitalisme.

Une dégradation continue

Malgré le plan de stabilisation de l’euro annoncé le 9 mai par la BCE et les gouvernements de la zone euro, la situation se dégrade sans cesse. Les banques de la zone euro sont le maillon faible du capitalisme, la partie émergée de l’iceberg de la crise.

D’ici à fin juillet, ce sont un minimum de 440 milliards d’euros que doivent rembourser les États de la zone euro aux banques. Il leur sera très difficile d’effectuer ces remboursements en totalité. Une banque américaine a publié une simulation de l’effet dévastateur sur les banques de la zone euro, d’un remboursement partiel à hauteur de 75 %. Les banques qui portent ces titres de dettes d’État dans leurs bilans devraient alors les déprécier de 25 %. Leur valeur en Bourse chuterait d’autant. Alors on renégocie dans le plus grand secret l’étalement des ces dettes dans le temps. Dans son rapport du mois de juin, la BCE avoue que jamais le risque systémique n’a été aussi élevé, le risque a dépassé le pic atteint lors de la faillite de Lehmann Brothers3. Les banques européennes préfèrent déposer leur argent liquide à la BCE sur un compte rémunéré à 0,25  % plutôt que de prêter aux autres banques.

La BCE estime que plus de 515 milliards d’euros sont des actifs sans valeur dans les bilans des banques européennes et devraient donc être dépréciés. Les banques fragilisées réduisent leur volume de prêt aux particuliers et aux entreprises en tâchant de renégocier les remboursements des dettes des États. Le capitalisme est gravement malade, le cœur et les poumons financiers sont atteints et n’irriguent plus les consommateurs ni les entreprises.

Les économistes bourgeois ne comprennent rien à la crise, mais ils savent compter et leurs idées et leurs calculs sont simples. Comme Marx l’a analysé, le crédit est le credo du capitalisme. Depuis la naissance des dettes publiques et des banques centrales, le manque de foi dans la dette publique a remplacé le péché contre le Saint-Esprit au nombre des péchés mortels.4

Les dettes publiques ont servi à acheter des armes en Grèce, à faire des cadeaux sous forme de bouclier fiscal en France, à couler du béton pour construire des appartements vides en Espagne. Qu’importe, il faut payer. Et ceux qui doivent payer, ce sont les classes populaires. Les années qui viennent seront celles de la guerre sociale. Les classes dominantes ne feront pas de prisonniers.

Frédéric Gudéa

1. Les crises du capitalisme, Karl Marx, Préface de Daniel Bensaïd, Demopolis 2009

2. La Tribune, Entretien avec Pascal Lamy, 2 juin 2010

3. Financial Stability Review, June 2010, ECB. À lire et télécharger gratuitement.

  1. Voir La dette publique et la bancocratie, Karl Marx, Tout est à nous ! hebdo n° 60.