Après 1945, la CGT est, avec la CFDT, le syndicat qui s’est le plus intéressé aux travailleurs immigrés. La centrale est cependant loin d’adopter la posture résolument internationaliste de la CGTU communiste dans l’entre-deux-guerres. Elle analyse l’immigration comme « arme des patrons » jouant le rôle d’« armée de réserve industrielle », et revendique une fermeture des frontières. Mais la CGT cherche également à organiser les travailleurs immigrés qui malgré tout se retrouvent là, et à revendiquer pour eux une égalité des droits sociaux et syndicaux. Face à un État et un patronat qui promeuvent et organisent le recours à une main-d’œuvre étrangère discriminée, ces deux orientations ont pour objectif commun de lutter contre la « concurrence déloyale » que représenteraient les travailleurs immigrés. Elles génèrent à l’égard de ces derniers des attitudes ambivalentes, de l’hostilité à la solidarité.
Mais surtout, dans les années 1970, alors que la nouvelle politique migratoire produit des bataillons de sans-papiers, cette double orientation ne donne plus de réponse toute faite : faut-il revendiquer l’expulsion des sans-papiers au nom de la fermeture des frontières (première orientation), ou leur régularisation au nom de l’égalité des droits des travailleurs (seconde orientation) ?
En avril 2006 se déroule le 48e congrès de la CGT, le dernier avant les grèves de travailleurs sans papiers ; il traduit, là encore, l’ambivalence du syndicat. Le document d’orientation soumis aux congressistes rappelle la nécessité d’« organiser » les flux migratoires (donc de ne pas ouvrir les frontières) tout en préservant « l’exigence d’une égalité de droit au travail et dans la vie ». Durant le congrès, des militants cherchent à introduire deux nouvelles revendications : la régularisation de tous les sans-papiers et la liberté de circulation. Seule la première est retenue. Lors du 49e et dernier congrès, alors que les grèves de sans-papiers font désormais partie du paysage des luttes, le document d’orientation met en avant « l’action résolue menée par la CGT pour la régularisation administrative des ‘‘sans papiers’’ et particulièrement des salarié(e)s », et ne parle plus d’organisation des flux migratoires, sans évoquer non plus la liberté de circulation. Mais il semble que les grèves ont fait bouger les lignes également à l’intérieur du syndicat.