La première grève de travailleurs étrangers en situation irrégulière a lieu dans... une entreprise de recyclage de papiers. Le 21 mai 1973, à Nanterre et Gennevilliers, 52 ouvriers de Margoline se mettent en grève. Sans douches, sans vestiaires, sans gants, sans bleus de travail, ils travaillent douze heures par jour à charger et décharger des balles de papier. « Mais nous sommes obligés de travailler chez [Margoline] parce qu’on n’a pas de papiers et qu’en plus il nous cache les passeports pour pas qu’on puisse changer de travail », lit-on dans le tract qu’ils distribuent.
Les sans-papiers sont alors une création récente. Un an plus tôt, les ministres de l’Intérieur et du Travail, Marcellin et Fontanet, prétendant passer, déjà, d’une « immigration subie et anarchique » à une « immigration organisée », interdisent les régularisations d’étrangers en situation irrégulière. Une lutte s’engage pour l’abrogation des circulaires Marcellin-Fontanet, à laquelle prennent part des organisations associatives et politiques, mais rarement les syndicats.
Devant la caméra, les grévistes de Margoline montrent qu’ils ont des fiches de paie, s’acquittent de leurs impôts et détiennent une carte de Sécurité sociale « comme n’importe quel travailleur français ». Dès le premier jour de grève, la préfecture des Hauts-de-Seine commence à délivrer des récépissés de titre de séjour aux travailleurs de Margoline.
Le patron n’est pas moins surpris, mais ne veut pas céder. Il pense se défendre en écrivant au journal le Monde : « Si un reproche pouvait nous être fait, ce n’est pas d’exploiter des immigrés mais d’avoir à leur égard une attitude teintée de paternalisme. » Après avoir fait interpeller les grévistes par la police sous un prétexte bidon, il est à son tour menacé de poursuites. Contraint de signer un accord, il s’engage non seulement à soutenir la régularisation de ses ouvriers, mais aussi à augmenter les salaires, réduire le temps de travail, installer des douches et des vestiaires...
Quelques semaines plus tard, le ministre du Travail cède une circulaire permettant la régularisation, à condition de présenter un contrat de travail, de tous les sans-papiers entrés en France avant le 1er juin 1973. C’est la première « vague de régularisations ». Les travailleurs de Margoline, ayant obtenu que leur patron fournisse les contrats, sont régularisés à la fin de l’été.
Comme celles des décennies suivantes, l’opération de régularisations fonctionne comme une soupape ponctuelle. Elle n’empêche pas que de nouveaux contingents de sans-papiers se créent, d’autant plus que le gouvernement prend la décision, le 3 juillet 1974, d’une « suspension provisoire de l’immigration des travailleurs et de leur famille ».
À voir : le film Margoline, édité dans le coffret Le cinéma de mai 68, vol. 2, Éditions Montparnasse