Publié le Dimanche 10 octobre 2010 à 22h52.

L’école, une casse programmée

Même si l’école a toujours joué un rôle fondamental dans la reproduction des classes sociales et idéologiques, elle est aussi le lieu où de nombreuses générations accèdent aux connaissances nécessaires permettant de transformer la so­ciété. Aujourd’hui les réformes mises en œuvre accélèrent une conception de l’humain considéré comme une marchandise dont les « performances » sont, dès son plus jeune âge, mesurées, quantifiées et évaluées. Dans ce projet libéral, l’école est un espace de transmission de savoirs légitimés par le pouvoir et de savoir-faire pour lesquels priorité est don­née à une conception utilitariste. Elle est avant tout un lieu de division et de reproduction des discriminations de classe et de genre dans lequel des générations d’élèves sont triées. Le pouvoir actuel recentre l’école sur une logique de performances des élèves à moindre coût pour l’État, permettant d’ouvrir un marché juteux de « réussite scolaire » confié au privé, dans et hors temps scolaire.

Le récent rapport d’étape de la Révision générale des politiques publiques (RGPP) fixe pour les ministères les objectifs à atteindre d’ici 2013. Ainsi sont programmées la suppression de 100 000 postes de fonctionnaires et la diminution de 10 % des dépenses de fonctionnement. Sarkozy et Fillon entendent économiser 100 milliards d’euros sur le dos des salariéEs, des populations les plus fragiles et des services publics.

L’Éducation nationale subit de plein fouet cette politique de rigueur, 16 000 suppressions de postes y sont encore prévues pour 2011 (on atteint en trois ans presque 50 000 postes supprimés) ainsi que l’augmentation substantielle des emplois précaires. Afin d’accélérer ce processus, le ministère de l’Éducation nationale a envoyé en juin ses directives aux recteurs : treize « leviers » pour réduire les postes qui vont de l’augmentation du nombre d’élèves par classe, en primaire et au collège, à la suppression des dispositifs d’aide et de prévention (Rased), jusqu’à la « rationalisation de l’offre scolaire », c’est-à-dire la suppression d’options au lycée, en passant par la suppression des décharges et des mises à disposition (notamment celles des associations d’éducation populaire).

« Tayloriser » l’organisation scolaire

Alors que la Cour des comptes pointait une aggravation de l’écart entre les résultats scolaires des élèves, Luc-Marie Chatel, ministre de l’Éducation nationale, a supprimé 3 000 postes d’enseignantEs spécialiséEs travail­lant auprès des élèves en difficulté. Loin de remédier aux inégalités scolaires, le plan triennal prévoit la suppression de 9 000 postes spécialisés d’ici 2013. L’objectif n’est pas – comme le prétend le gouvernement – d’accroître les « chances de réussite » des élèves mais de faire des économies sur le dos de ceux qui en ont le moins.

Sous le prétexte que des études récentes montrent que la diminution des effectifs dans les classes n’a pas d’effet sur les résultats des élèves et que les très petites classes ne s’avèrent pas plus « performantes », le ministère a demandé aux inspecteurs d’académie de privilégier les regroupements d’écoles afin de constituer autour du collège des « établissements du socle commun » et d’augmenter les effectifs des classes dans les écoles maternelles et élémentaires. Mais le socle commun, les nouveaux programmes, l’aide individualisée et les évaluations nationales réhabilitent des valeurs telles que « la performance » et « le talent » et instaurent dans les faits une éducation de compétences par paliers, plutôt que de connaissances interactives. Le retour de l’orientation forcée dès le plus jeune âge est pressenti, avec des directives sur le « socle commun » qui nous permettent d’imaginer la restauration des classes de niveau, comme dans les années 1960.

Réorganiser les offres scolaires pour les adapter au marché

Le but de la réforme du lycée est le même : réaliser des économies. Réduction des horaires, disparition de matières, indi­vi­dualisation des parcours, remise en cause du baccalauréat comme diplôme national et renforcement de l’autonomie des établissements ont pour conséquence l’augmentation des inégalités sociales et territoriales. En effrayant les parents sur l’échec scolaire, le gouvernement a offert depuis plusieurs années un juteux marché de « soutien » et une ruée vers le privé, toujours disponible pour créer des établissements sélectifs qui éduquent les enfants à la compétition sociale individuelle.

L’objectif est de « rationaliser » l’offre sco­laire dès la rentrée 2011 en mettant en place des troncs communs réunissant des élèves de différentes filières. Là aussi une mise en réseau des établissements sera opérée pour utiliser les enseignantEs de manière optimale afin de les rendre plus flexibles, ce qui aura pour conséquence la fermeture d’établissements au profit d’ensem­bles sco­laires à taille inhumaine, autonomes, vidéosurveillés et concur­rentiels et qui «­ rationaliseront », au détri­ment de la qualité de l’enseignement et de la vie des élèves.

Éduquer à un dogmatisme autoritaire et à des savoirs mesurables

Transformer les cours de philosophie en « histoire des idées », se soumettre aux injonctions de l’Institut des entreprises en ce qui concerne les sciences économiques et sociales, accepter de « nouveaux program­mes » réactionnaires et basés sur la répétition à l’école primaire et la diminution des heures d’enseignement, tous ces éléments forment une même idéologie. Celle de ne plus faire réfléchir les élèves sur des concepts mais sur des conceptions du monde, de ne pas réfléchir aux problèmes sociaux et de les réduire à une mécanique « microécono­mique » et à des savoirs récités inutiles pour interroger le monde actuel. Cette idéologie s’invite dès l’école primaire où les évaluations quantifient les performances des élèves sur des compétences dites « fondamentales » mais sans réflexion ni transversalité. Le tout inscrit et numérisé dans des logiciels de gestion d’élèves (Base élèves, Sconet) qui fichent les enfants et archivent leurs « compétences » et leurs « performances » sans possibilité d’échapper à la traçabilité de leur parcours d’élève.

Casser le statut de fonctionnaire

La loi LRU (loi relative aux libertés et responsabilités des universités) qui organise la concurrence entre les universités et ses personnels permet désormais aux uni­ver­sités de recruter à leur guise. Le programme « Clair » qui vise à remplacer les ZEP permet aux chefs d’établissement des quartiers les plus difficiles de recruter eux-mêmes les enseignants des écoles et collèges.

De même, la réforme de la formation des enseignants des 1er et 2nd degrés (dite réforme de la « masterisation ») impose d’embaucher des enseignantEs non titulaires au niveau master 2 pour les substituer aux postes de remplaçants, désormais fermés. Il s’agit à terme de remplacer les concours d’enseignants par un « master d’enseignement » délivré par les universités, c’est-à-dire d’acter la disparition des statuts actuels des salariéEs de la fonction publique d’État et l’embauche de contractuels de droit privé à la merci des chefs d’établissement. Les premiers enseignantEs, professeurEs des écoles stagiaires (PES) seront dans les classes dès la rentrée 2010.

Quant à la loi de mobilité dans la fonction publique, sous prétexte d’une nouvelle opportunité de « réorientation professionnelle » pour les agents des trois fonctions publiques, elle sert d’alibi pour redéployer et supprimer des emplois et ainsi recourir à l’intérim et à la précarité.

De nombreux enseignants, parents, élèves luttent au quotidien, dans des conditions de plus en plus difficiles, contre le poids écrasant de l’idéologie dominante et pour l’émancipation sociale. Cette lutte partagée par tous et toutes, s’inscrit dans la défense des services publics en général et de celui de l’Éducation en particulier, contre toutes les politiques visant à son démantèlement. Il ne pourra y avoir de transformation profonde de l’appareil scolaire que si elle s’inscrit dans un projet plus large de transformation sociale. Il n’y aura en effet de démocratie que si toutes et tous dessinons notre avenir dans un esprit critique suffisamment développé pour penser le monde autrement.

Oui à une école commune de 2 à 18 ans, sans orientation, pour une éducation de base réflexive et critique partagée par toutes et tous.

Oui à des classes à effectifs légers, aux établissements à taille humaine, permettant aux élèves et aux enseignantEs de se connaître et de se reconnaître.

Oui à une école publique, laïque, gratuite, organisée avec des enseignantEs forméEs à leur métier par plusieurs années de formation rémunérée et titulaires de leur emploi.

Aujourd’hui lutter pour une éducation émancipatrice, c’est lutter pour une société en rupture avec le capitalisme.

Sylviane Charles

1. Cahier Tout est à nous n°4, 2010; Pour des lendemains qui pensent. Propositions anticapitalistes pour l’université et la recherche