L’histoire est en danger à double titre : menacée de relativisation dans la réforme du lycée en cours d’application, menacée aussi d’instrumentalisation par le pouvoir politique ces dernières années. Un pouvoir qui « fait de l’histoire » à sa manière tout en réduisant les capacités des citoyens à se faire leur idée sur la question. L’Histoire menacée et instrumentalisée
La réforme des lycées mise en place par Luc Chatel s’attaque à de nombreuses disciplines et, globalement, à l’offre éducative. Dans le cas de l’histoire, on assiste à une entreprise de démolition dont les aspects politiques sont évidents. L’attaque la plus spectaculaire consiste à supprimer l’étude de cette matière en terminale scientifique (qui accueille la moitié des lycéenEs des sections générales).
Dans les programmes, l’instrumentalisation politique est de plus en plus forte. En primaire, l’insistance sur les « grands hom–mes » dénote une conception rétrograde, peu propice à inciter les nouvelles générations à prendre en main leurs destinées. Dans le secondaire, la relativisation par le temps accordé ou la place dans les programmes, voire la disparition d’événements émancipateurs comme la Commune de Paris, la Révolution russe ou la Révolution espagnole dans le projet de programme de première, dénotent une fabrique scolaire de l’histoire pour le moins orientée. Symptomatique aussi de cette orientation : la disparition de l’étude de la Méditerranée au xiie siècle au profit de celle de « la civilisation rurale dans l’Occident chrétien médiéval, du ixe au xiiie siècle », et donc d’une approche centrée sur l’Europe chrétienne, dans les nouveaux programmes de seconde.
L’instrumentalisation de l’histoire par le pouvoir s’est également marquée, ces dernières années, par des décisions politiques contestées. En 2005, le projet de loi sur l’histoire de la colonisation a soulevé un tollé qui a obligé à un recul la majorité réactionnaire en passe de revenir au « bon temps des colonies ». En 2007, à peine élu, Sarkozy a tenté une manœuvre avec la lecture dans les lycées de la dernière lettre du résistant communiste Guy Môquet alors que, dans le même temps, il faisait chasser les sans-papiers par Hortefeux. L’année suivante, sa sinistre idée de faire parrainer un enfant juif mort pendant la Shoah par un écolier a vite tourné court. Sans parler, bien sûr, du « débat » sur l’identité nationale, orchestré par Besson, le nouveau chasseur de sans-papiers. Ces échecs montrent une résistance encourageante aux tentatives d’instrumentaliser l’histoire.
L’histoire résiste
La défense de la présence de l’histoire dans l’enseignement est une question politique : la suppression de cette matière en terminaleS, à un âge où les jeunes se préparent à voter, est un acte scandaleux qui va à l’encontre de la démocratie. Il ne peut que servir ceux qui préfèrent que les populations se déterminent sans référence au passé, c’est-à-dire sans capacité d’analyser de façon critique les discours politiques.
D’autre part, nombre d’historiens se sont prononcés contre les visions réactionnaires de l’histoire ces dernières années, notam–ment par rapport à l’immigration ou à la colonisation. On se souvient de la création du Comité de vigilance face aux usages publics de l’histoire (CVUH) en 2005. Par ailleurs, avec l’affirmation et même parfois la reconnaissance d’ « identités plurielles », la société civile, les groupes issus de l’immigration mais aussi les femmes, les homosexuelEs et tous les excluEs du « roman national » dénoncent de plus en plus vigou–reusement une histoire officielle, instrument de domination.
L’histoire a toujours été un instrument de construction d’un nationalisme patriotique, dans le processus de massification scolaire en particulier. Le retour aux mythes na–tionaux, la velléité de « patrimonialiser » et de commémorer témoigne sans aucun doute de la crispation du pouvoir devant les difficultés de l’école et de la société toute entière à « intégrer ». Sommés de construire une « identité nationale », des historiens et des enseignants résistent donc, appelant de leurs vœux l’élaboration d’une histoire commune, sans doute plus complexe car prenant en compte la diversité des mémoires : une histoire de tous, attentive à l’autre, qui interroge les sociétés, sans jamais imposer de réponses uniques.
Anne Lafran, Robert Noirel