Publié le Lundi 1 novembre 2010 à 11h39.

Expo : « Interdit aux moins de 18 ans », Larry Clark, la critique d’art et tout le reste

Le photographe américain Larry Clark vient de voir sa rétrospective au musée d’Art moderne de la Ville de Paris « interdite aux moins de 18 ans » par la mairie, puis deux de ses œuvres censurées à Berne. Décisions obscènes sur des photos qui ne le sont pas.«En ce qui concerne Larry Clark, il y a vraiment un avant et un après Paris ». C’est sur ce motif que les directeurs du musée des Beaux-Arts et du centre Paul-Klee de Berne ont retiré de leur exposition Vice et Volupté deux photos de Clark en même temps que Deux femmes nues accroupies vues de dos (1940), aquarelle de Grosz, l’expressionniste le plus détesté des nazis (« avant et après » très oubliés ici). S’ils avaient prévu initialement de « déconseiller » la visite aux moins de 16 ans et de cacher « les œuvres les plus crues » derrière des rideaux, c’est la crainte de poursuites pénales qui les a finalement décidés à ce geste de censure. Par prudence et non par pudibonderie, comme Bertrand Delanoë et son adjoint à la culture Christophe Girard avaient justifié huit jours auparavant leur décision analogue d’interdiction aux moins de 18 ans de la rétrospective à Paris (d’où un beau succès de scandale, après la une de Libération du 7 octobre sur cette affaire). Qui pourrait discuter l’ouverture d’esprit de ces édiles ? Tous deux marquent clairement leurs préférences sexuelles et le second, en tant que directeur de la stratégie luxe de LVMH, a la confiance de Bernard Arnault, lui-même aussi ouvert d’esprit comme amateur d’art (ses collections seront bientôt exposées sur le sol parisien du Jardin d’acclimatation) que comme investisseur dans la pornographie électronique (Canard Enchaîné, 18 novembre 2009 : « Des grands patrons à fond la fesse sur Internet »). Selon Delanoë, c’est seulement que « ce qui était facile il y a 20 ans pose problème aujourd’hui ». D’où vient le « problème » ? Des ligues de vertu ou de défense « de l’identité française et chrétienne » largement moins offensives aujourd’hui qu’il y a 20 ans, des photos de Clark connues de longue date et régulièrement exposées à Paris sans la moindre polémique, des édiles eux-mêmes n’assumant plus leurs engagements politiques ou d’une « certaine idée de la jeunesse » à protéger par une sorte d’anti-pédophilie à la fois tatillonne et frénétique ? Quoi qu’il en soit, on a spectaculairement signifié aux moins de 18 ans qu’une des minces libertés naguère concédées à leurs parents leur est désormais déniée, et qu’on a décidé de les tenir à l’œil dans tous les sens du terme. S’ils en ont envie, les quinze photos « osées » (sur les 300 exposées) servant de prétexte à cette interdiction restent accessibles sur Internet ou dans les librairies, les livres de Clark n’étant encore interdits ni à l’exposition ni à la vente comme ils l’auraient été sous De Gaulle peut-être, ou peut-être même pas. Ils constateront alors que, dans ses photographies comme dans ses films justement réputés, il a porté sur les jeunes Américains d’il y a 30 à 40 ans, faisant l’amour, se droguant ou « jouant les durs », un regard toujours tendre, mi-amusé mi-complice, marquant une liberté qu’on leur défend maintenant d’avoir eux-mêmes, ou seulement de voir. Ils comprendront qu’à travers l’exercice de critique d’art dont on les prive avec cette exposition, c’est toute la faculté de discernement et de contestation qu’on leur refuse, au nom d’un « principe de précaution » ici chargé de les infantiliser et de les mettre un peu plus au pas, et que l’obscénité n’est ni chez Larry Clark ni chez ses modèles, mais chez les censeurs de la jeunesse. Gilles Bounoure