À ceux que l’art contemporain déroute ou exaspère, la rétrospective Arman présentée jusqu’au 10 janvier au centre Pompidou offre malgré elle une leçon de choses qui les instruira aussi bien sur cet artiste que sur l’esthétique de la classe dominante. Né en 1928 et mort en 2005, Arman n’a dû sa rapide notoriété qu’au génie publicitaire de son ami et mentor Yves Klein, mort prématurément en 1962, après lui avoir montré la voie à suivre pour se faire connaître. Le premier avait certes étudié aux Arts Déco de Nice et à l’école du Louvre, mais il restait un expérimentateur parmi d’autres de l’expressionnisme abstrait alors en vogue jusqu’à ce que le second accumule des provocations qui l’inspireraient à son tour. Ainsi du manifeste de 1959 Le dépassement de la problématique de l’art, venant après une exposition de toiles monochromes, apparemment identiques sauf par les prix variés qui en étaient demandés, et une autre sur Le Vide où les murs nus de la galerie étaient censés suggérer les œuvres absentes. Après Le Vide de Klein, la même galerie présenta en 1960 Le Plein d’Arman, entassement d’ustensiles variés tirés des poubelles, projet « conceptuel » vite transformé en fonds de commerce. Et Arman de multiplier les « cachets » au tampon encreur, les « allures » ou empreintes d’objets, les « poubelles », les « accumulations », puis les « colères » ou bris d’objets, les « coupes », les « brûlages », les « cristallisations » etc., matériaux peu coûteux, procédés répétitifs et discours pompeux qui lui permirent d’impressionner à bon compte une clientèle aisée en quête de nouveauté. Au risque de contradictions ou de résultats douteux : si ses vitrines garnies à ras bord de rasoirs électriques au rebut pouvaient à la rigueur passer pour de la « critique sociale » visant la « société de consommation », ses entassements de dentiers ou de chaussures rappelaient surtout certaines images d’Auschwitz. Quant à ses accumulations ou coupes de pièces d’automobile réalisées pour Renault entre 1967 et 1969, elles ne cherchaient certainement pas à faire comparer les voitures produites par la Régie à des « poubelles », ni le constructeur à une « ordure » vis-à-vis de ses salariés. On le voit dans la salle de l’exposition consacrée à ces travaux-là, très léchés et « propres », il ne s’agissait là encore que de publicité, ce à quoi certainement Arman excellait. Depuis ce « para-artiste », comme il se définissait (non sans références à Duchamp, à ses ready made, etc.), jusqu’à Damien Hirst, le plus coté et le plus riche des artistes d’aujourd’hui, la filiation est évidente et la recette inchangée : exciter le snobisme et le réflexe d’achat des élites par les spectacles les plus rebutants, accumulations de cadavres de mouches, élevages d’asticots, viandes pourrissantes… Avec les 450 kg de déchets par an qu’il laisse en moyenne à sa porte, selon les chiffres des spécialistes (les rudologues), chaque habitant de ce pays serait en mesure de « créer » à la façon d’Arman, d’exposer et de vendre des « ordures en conserve », si l’urgence n’était pas au contraire du côté des « 3 R » (réduire, réutiliser, recycler). Ainsi, que faire des 1 600 tonnes de béton enveloppant 59 carcasses de voitures sur 20 mètres de haut de la « tour Arman » de Jouy-en-Josas ? À côté de ces déchets embarrassants, le développement d’un art de soumission à la classe dominante emballé dans les oripeaux d’une esthétique de combat, voilà en fin de compte ce que le « para-artiste » a laissé derrière lui de plus répugnant et de moins facile à éliminer. Gilles Bounoure