Né à Montevideo en 1940, journaliste engagé dès son adolescence, Eduardo Galeano s’est fait connaître en 1971 avec Les Veines ouvertes de l’Amérique latine, réquisitoire resté d’une telle actualité que Chávez a jugé utile en 2009 d’en offrir un exemplaire à Obama. En 1973, après avoir été emprisonné par les militaires uruguayens, Galeano se réfugia en Argentine mais le coup d’État de 1976 et les menaces explicites des escadrons de la mort le contraignirent à s’exiler à Barcelone où il continua d’écrire récits, chroniques ou romans dont les trois volumes de Mémoires du feu (1982-1986). Observateur attentif et exigeant des processus de « transition démocratique » initiés en Amérique latine à l’époque de son retour en 1985 (et toujours en cours aujourd’hui), il est devenu l’une des grandes consciences altermondialistes du continent, en co-signant par exemple le Manifeste de Porto Alegre (2005). Remarquablement bien traduit par Lolita Chaput et mis en page, Paroles vagabondes (traduction de Palabras andantes, 1993, Walking Talks selon la version anglaise de 1995, Conversations en marche pourrait-on dire aussi) relève de « l’essai » à divers titres. Recueil de contes, d’observations et de commentaires en même temps que manifeste culturel et politique doublé d’un hommage au génie propre des Latino-Américains, c’est aussi un volume illustré où se conjuguent à merveille la verve extraordinaire de Galeano et les gravures sur bois de José Francisco Borges (artiste et poète autodidacte né en 1935, mondialement connu aujourd’hui comme témoin de la mémoire collective du Nordeste brésilien). À côté des « fenêtres » (titre de nombreux textes) qu’il ouvre sur les traditions indiennes et latino-américaines, il en comporte maintes autres tournées vers la révolte et l’utopie, ainsi évoquée dans l’une des dernières pages : « À quoi sert l’utopie ? Elle sert à cela : à cheminer. » Ce n’est pas moins vrai de ce beau livre.Gilles Bounoure
Gravures de J. F. Borges, Lux Éditeur, 336 pages, 19 euros.