La Pinacothèque de Paris présente (jusqu’au 6 février 2011) une exposition portant moins sur l’or des Incas et son pillage par les Espagnols que sur ses « origines et mystères », avec un catalogue ambitieux et un ensemble exceptionnel d’objets venus du Pérou. Coïncidence remarquable, cette exposition s’est ouverte alors que la spéculation portait le cours de l’or à des niveaux sans précédent (plus de 1 300 dollars l’once) et que 33 travailleurs restaient prisonniers de la mine d’or et de cuivre de San José, au nord du Chili, dans le désert d’Atacama appartenant jadis à l’empire inca. Créée à la fin du xiiie siècle dans le bassin de Cusco par des montagnards quechuas, cette théocratie avait réussi à s’étendre au tournant des xve-xvie siècles vers le sud jusqu’à Santiago du Chili puis vers le nord jusqu’à Quito en Équateur, absorbant d’anciennes cultures comme celle de Chimu (900-1470) et développant sur près de 20 000 km le réseau routier qui permettait à ses 100 000 dignitaires de dominer et d’administrer une population cent fois plus nombreuse. Vinrent alors Francisco Pizarro et ses 180 troupiers. En 1532, à un contre 500, ils s’emparaient de l’Inca Atahualpa et le rançonnaient avant de l’assassiner. Leur butin, neuf tonnes d’or et 60 d’argent, correspondait à tout ce qui s’était frappé de monnaies dans les ateliers français entre 1515 et 1532. Ainsi furent réduits en lingots l’or de l’Inca et tout ce que les Espagnols pillèrent encore dans la cité sacrée de Cusco, son temple du soleil et ses tombes royales. Après maints massacres dont les archéologues ont retrouvé près de Lima des vestiges accablants, les conquérants se répartirent les gisements miniers et les Indiens à y employer… Ce qui leur a échappé des pièces d’orfèvrerie inca, très peu nombreuses même avec les trouvailles des fouilles officielles ou clandestines des huaqueros, ne donne qu’une faible idée de cette production très encadrée, réservée à l’aristocratie et aux lieux de culte, quoique l’or n’ait jamais été aussi précieux que certains tissages raffinés ou les plumes et coquillages venus de loin. C’est ce que rappellent justement cette exposition et son catalogue, tout en soulignant les incertitudes entourant toujours l’histoire de l’expansion inca. Les chroniques espagnoles, sources essentielles jusqu’il y a peu, sont désormais confrontées aux découvertes archéologiques et à l’analyse des phénomènes climatiques. Dans quelle mesure El Niño, réchauffement marin que fuient les poissons, a-t-il affaibli les vieilles civilisations côtières du Pérou au profit des montagnards de Cusco, ou comment ceux-ci ont-ils su développer les inventions de leurs prédécesseurs en matière d’agriculture et d’irrigation, mais aussi d’art, comme le montre cette exposition parisienne pour laquelle les musées péruviens n’ont pas hésité à prêter plus de 200 objets ? Rien de plus actuel que ces questions d’histoire. L’or reste pour le Pérou (cinquième producteur mondial) sa principale exportation, tirée pour moitié de Yanacocha, la plus grande mine d’Amérique, fameuse pour ses pertes de mercure, ses effluents cyanurés et son mépris de la population environnante, qu’elle n’emploie que marginalement. Plus de 60 % des Péruviens vivant sous le seuil de pauvreté, piller des sites archéologiques tout en regrettant le temps des Incas et de leur prétendue répartition « socialiste » des richesses reste un moyen élémentaire, moins paradoxal qu’on croit, de survivre et de résister à la misère présente. Gilles Bounoure
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Photo : Joaquín Rubio Roach