L'aventure d'Anselme Boix-Vives, devenu peintre à 63 ans, est d'abord celle des dons enfouis en chacun et n'attendant que du temps libre pour éclater. Deux expositions parisiennes permettent de découvrir l'œuvre de cet artiste inclassable.
Fils de paysans espagnols plus que pauvres, Ancelmo Boix garda d'abord des troupeaux avant de rejoindre, en 1917, à 18 ans, des parents établis en Savoie. Illettré et réfractaire au service militaire, ouvrier puis mineur, il préféra vite le métier de marchand ambulant. Il conquit sa clientèle par ses boniments comiques et finit, en 1928, par ouvrir une épicerie à Moûtiers. En 1926, au plus fort de la guerre du Rif, peu avant la signature entre Pétain et Primo de Rivera de l'alliance militaire franco-espagnole et la promotion de Franco comme « plus jeune général d'Europe », il se faisait le serment de s'opposer à toutes les guerres et de promouvoir une paix universelle fondée sur les profits du travail. Il attendit 30 ans pour publier des manifestes (Union mondiale, le seul moyen de sauver la civilisation, 1955; Plan financier d'organisation mondiale. La paix par le travail, 1957, etc.), envoyés aux « grands de ce monde », De Gaulle, le pape, la reine d'Angleterre, les Nations unies…
Il y écrit par exemple: « Je ne paierais jamais les gens à ne rien faire. J'aurais toujours de l'argent et du travail pour toutes les nations. Après avoir redressé l'univers, et araser les montagnes, je commencerais le dragage des rivières, et si des ouvriers étaient toujours sans travail, je leur demanderais de creuser des trous pour y enfouir l'océan. » N'évitant pas la galéjade, ces propositions rendaient au moins à la « question sociale » sa dimension mondiale (sinon cosmique, Boix-Vives allant jusqu'à imaginer une société lunaire ou martienne!). L'attention qu'il attendit vainement de ses manifestes, il l'obtint avec une rapidité spectaculaire dès qu'il se laissa convaincre de pratiquer le dessin et la peinture, après sa retraite et la mort de son épouse, réalisant, entre 1962 et son décès en 1969, 2400 œuvres, presque autant que les jours de ces sept années d'expression libre.
La Halle Saint-Pierre (2, rue Ronsard, Paris 18e, jusqu'au 28 août) et la galerie Alain-Margaron (5, rue du Perche, Paris 3e, jusqu'au 4 juillet, avec un beau catalogue) présentent 150 esquisses, gouaches et huiles de Boix-Vives, où les traits d'utopie de valeur inégale coïncident avec une recherche du « joli » aux résultats toujours charmants. Elles illustrent la complexité de sa personnalité et celle de son époque qu'il scrutait avidement (« Je n'avais jamais pu lire quoi que ce soit, je n'avais jamais vu de peintures faites par de vrais peintres, alors il me fallait des modèles. Mais ici, à Moûtiers, c'est difficile. Alors j'ai acheté la télévision ; comme ça, ici, j'ai le monde à peindre. »1). Elles vérifient aussi ce que Marx écrivait du temps libre, « à la fois loisir et activité supérieure », où « commence l'épanouissement de la puissance humaine qui est sa propre fin, le véritable règne de la liberté », ainsi que conclut Le Capital.
Gilles Bounoure
1. En 1966, Boix-Vives eut aussi les honneurs de la télévision suisse romande (document exceptionnel de 18 minutes à voir sur le site internet de la TSR).