Publié le Mardi 5 avril 2016 à 23h27.

Calais : Une barbarie d’Etat assumée

Des grands drames de l’Histoire, on retient souvent une ou deux photographies qui font le tour des rédactions, et aujourd’hui celui des réseaux sociaux. Ces images à elles seules ont su dépasser le pouvoir des mots, toucher un très grand nombre, au point de devenir les emblèmes de mobilisations dépassant la seule sphère militante. Ainsi nous souviendrons-nous à jamais de l’extraordinaire choc émotionnel produit dans tous les pays  par la publication de la photo de cette enfant vietnamienne errant nue sur un chemin de désolation, le corps brûlé, martyrisé  par les effets du napalm déversé sur les populations civiles par l’aviation US, ou de l’immolation de Mohamed Bouazizi le 17 décembre 2010 qui allait amener le peuple tunisien à renverser son dictateur.

Certes, comparaison n’est pas raison, et le drame actuel que vivent les migrant-e-s et réfugié-e-s à Lampedusa, Calais ou Idoméni n’est, pour l’instant, pas perçu comme un événement aussi important que  la guerre du Vietnam ou la révolution tunisienne. Les dizaines de milliers de mort-e-s en Méditerranée, atrocement  banalisés par la récurrence des naufrages, ont soudain ému l’opinion publique lorsque furent publiées début septembre les photos du cadavre du petit syrien Aylan échoué sur la plage de Bodrum. Celles de six Iraniens de la jungle de Calais, grévistes de la faim, se cousant les lèvres en signe de protestation de la destruction de leurs habitations ont à nouveau  suscité une grande émotion dans l’opinion publique. 

Alors oui ! Indignons-nous ! Indignons-nous pour tous les petits Aylan, martyr-e-s anonymes de la barbarie impérialiste, fauché-e-s à l’aube de leur vie, victimes d’un système implacable qui ne respecte rien, pas même ses règlements internationaux sur les droits humains les plus élémentaires... Lorsqu’un enfant  de Palestine, de Syrie, du Soudan ou d’ailleurs meurt en Méditerranée ou en mer Egée, c’est l’Humanité que l’on assassine ! 

Indignons-nous du sort des réfugié-e-s et migrant-e-s de Calais traités comme du bétail, comme des variables d’ajustement, des quotas, comme des objets qu’on déporte ici ou là, dans des « centres de tri, d’observation, d’hébergement d’urgence » aux quatre coins de la France, sans jamais tenir compte de leur avis, de leurs vies,  de leurs projets, des drames qu’ils vivent et ont vécus. 

Oui, nous sommes indigné-e-s, et très en colère !  Oui, nous avons honte lorsqu’un ministre de l’Intérieur osant se prétendre « socialiste » annonce qu’il va démanteler la « jungle » en utilisant la persuasion – décision que par ailleurs nous contestons –, envoie ses flics, ses bulldozers et ses « communicants » pour terroriser les réfugié-e-s, détruire leurs maisons de fortune, détruire les « écoles », les lieux de culte, les cantines, casser leur désir de rejoindre l’Angleterre, et les criminaliser. 

Mais l’indignation ne suffit pas ! Les  luttes des migrant-e-s et de leurs soutiens se situent dans la continuité de celles des sans papiers, même si  les conditions et les objectifs  peuvent être différents. Le 18 mars, débute la célébration du vingtième anniversaire de la grande lutte des « Saint-Bernard » qui, pendant près de cinq mois, par sa radicalité et son auto-organisation, a permis par la suite la mise en place d’un mouvement national des sans-papiers, et de traditions de luttes qui font partie aujourd’hui encore de notre « patrimoine ». En créant la Coalition internationale des sans-papiers et migrants (CISPM), les militants sans-papiers ont jeté les bases  d’une  structure internationale, indépendante et permanente, un instrument indispensable pour se hisser à la hauteur de la situation actuelle, des enjeux.  

Partout en Europe, prenons la rue !  La situation dramatique que vivent des dizaines de milliers de migrant-e-s et réfugié-e-s, de Iodémi à Calais, de Lesbos à Lampedusa, impose d’agir en urgence. D’ores et déjà, des manifestations de rue ont été programmées à l’occasion de la journée européenne de mobilisation, le 19 mars, dans de nombreuses villes de plusieurs pays. En France, à l’appel de la CISPM, du collectif unitaire anti-guerre et des collectifs de soutien aux migrants. Les anticapitalistes sont partie prenante de toutes ces initiatives.

Alain Pojolat