Nous publions un texte de réponse à un article publié dans l’Anticapitaliste n°488.
«On a le droit d’être islamophobe ». En reprenant une formule posthume du dessinateur Charb lors de l’université d’été de La France insoumise, Henri Peña-Ruiz n’imaginait pas qu’il déclencherait une telle polémique. Une partie du NPA s’en est mêlée. Le spécialiste de la laïcité est accusé de faire le jeu des « racistes de tout poil ». Mais la critique va au-delà. « Face à l’expansion des extrêmes droites […], il s’agit de ne pas tergiverser : on n’a pas le droit d’être islamophobe, mais on a le devoir de lutter contre l’islamophobie » a-t-on pu lire dans l’article intitulé « Le "droit d’être islamophobe" ? » paru dans l’Anticapitaliste du 12 septembre dernier. Nous sommes donc sommés de choisir notre camp. Comme si la lutte contre l’islamophobie ne pouvait pas être aussi instrumentalisée ?
Phobie ou pas phobie ?Face à la polémique, Peña-Ruiz a reconnu que « le suffixe phobie n’est pas très pertinent car il pathologise cette liberté [de critiquer une vision du monde] ».La phobie, nous dit le dictionnaire, est une crainte excessive, maladive et irraisonnée, une peur ou une aversion instinctive. La phobie de l’islam, dont l’extrême droite est le foyer d’infection, est bien une maladie. Cette islamophobie fait des ravages dont l’un, et non des moindres, est de diviser les travailleurEs et les plus pauvres. Dénoncer le caractère anesthésiant et aliénant de la religion comme obstacle à toute émancipation n’a par contre rien d’une phobie. La religion est « l’opium du peuple » écrivait Marx, qui ajoutait que « la critique de la religion détruit les illusions de l’homme pour qu’il pense, agisse, façonne sa réalité comme un homme sans illusions parvenu à l’âge de la raison. » Contrairement aux démagogues, nous nous adressons à l’intelligence et à la solidarité des exploitéEs et des oppriméEs, pas aux peurs irraisonnées distillées d’en haut, ni à cette laïcité républicaine à géométrie variable à laquelle s’en remet Peña-Ruiz.
Choisir son camp ?L’anti-islamophobie serait donc le remède. L’injonction découlerait des « ravages de l’islamophobie ». En effet, c’est peu dire que le fond de l’air se rembrunit : banalisation du racisme, nomination d’un commissaire européen chargé de la « protection de notre mode de vie européen », débat sur l’immigration lancé par Macron dans le but de dévier la colère sociale… Faut-il pour autant en appeler au « devoir de lutter contre l’islamophobie » ? Choisir son camp entre « droit à l’islamophobie » et « anti-islamophobie » ? Pas si simple, car nous avons à combattre sur plusieurs fronts. Un islam militant, religieux et politique, est également à l’offensive, composé de mouvements plus ou moins réactionnaires qui cherchent à dresser un fossé entre musulmanEs et non-musulmanEs, jouant sur la peur voire la terreur. Si la droite et l’extrême droite instrumentalisent la laïcité, les islamistes n’en font pas moins avec l’anti-islamophobie. Voir dans l’islamisme politique un ennemi des travailleurEs et un obscurantisme ne vient pas davantage d’une phobie de l’islam. Il n’y a hélas pas besoin de diaboliser les régimes ou les groupes terroristes qui se réclament de l’islam dans le monde pour constater leur caractère anti-ouvrier, liberticide et totalitaire. Les pièges sont donc multiples. Le radicalisme anti-islamophobe ne permet pas de les éviter, et mène parfois à se faire piéger. Nous pouvons y faire face. Comme nous combattons à la fois l’antisémitisme et le sionisme (n’en déplaise aux sionistes pour lesquels tout antisionisme serait de l’antisémitisme), lutter contre l’islamophobie véhiculée par l’extrême droite et contre l’islamisme politique (n’en déplaise aux islamistes pour lesquels toute critique de l’islam serait islamophobe) amènera à se retrouver sous les tirs croisés de ces deux camps, preuve qu’ils se rejoignent dans leur conception réactionnaire du monde. C’est la meilleure façon de ne pas se faire instrumentaliser. Gilles Seguin