Publié le Lundi 27 juin 2016 à 07h11.

Migrants : Une catastrophe humanitaire sans précédent

En 2014, les trois quarts des migrants qui sont morts en mer dans le monde ont péri en Méditerranée. Et tout laisse à penser que cette proportion ne fait qu’augmenter. Face à cette véritabl e catastrophe humanitaire à nos portes, le cynisme des dirigeants impérialistes de l’Union européenne et de ses Etats, pourtant largement responsables des crises et des guerres qui déchirent les pays d’émigration, ne connaît pas de bornes.

Mercredi 20 avril 2016, 41 migrants secourus au large de la Libye et rapatriés en Grèce ont raconté leur terrible naufrage. Partis de Tobrouk, dans l’est de la Libye, c’est au cours de leur transfert sur une grosse embarcation déjà surchargée que celle-ci aurait chaviré, entraînant dans la mort ses 500 passagers, tous originaires d’Afrique de l’Est. Une porte-parole du Haut-commissariat aux Réfugiés (HCR) a estimé que ce drame portait à plus de 1250 le nombre des morts ou disparus depuis janvier en Méditerranée.

En septembre 2014, un transbordement en pleine mer avait fait près de 500 morts. Le 18 avril 2015, au large de la Libye, 800 réfugiés venant de Syrie, d’Erythrée et de Somalie avaient trouvé la mort dans un naufrage, le plus meurtrier de ces dernières années.

 

Hécatombe en Méditerranée occidentale

Cela fait longtemps que la Méditerranée est un cimetière pour ceux que l’on appelle les immigrés clandestins. Si aujourd’hui les regards sont tournés vers la Méditerranée orientale et le drame des réfugiés syriens, d’autres routes de migrations sont tout aussi meurtrières. A l’Ouest, l’entrée en Europe par l’Espagne est un passage à haut risque pour des milliers de réfugiés d’Afrique subsaharienne. Après avoir franchi les frontières de plusieurs pays, traversé des déserts, ils sont prêts à prendre tous les risques pour gagner l’Espagne depuis le Maroc vers les Canaries, les enclaves de Ceuta et Melilla ou l’Andalousie par le détroit de Gibraltar.

En septembre 2005, près de 600 immigrants africains avaient tenté de franchir pour la troisième fois dans la semaine la barrière de barbelés de l’enclave espagnole de Ceuta. Le violent affrontement avec la Guardia civil espagnole avait fait 5 morts et 28 blessés. L’autre enclave, Melilla, connaissait aussi à la même période plusieurs assauts massifs de centaines de clandestins et... plusieurs morts.

Depuis l’adoption d’une loi répressive contre les immigrés en 1985 et son adhésion en 1991 au traité de Schengen (entrée en vigueur le 26 mars 1995), l’Espagne, principale voie d’entrée des migrants d’Afrique subsaharienne, a fermé et militarisé ses frontières. Elle a construit autour de ses enclaves en territoire marocain de Ceuta et Mellila une double barrière de barbelés hérissés de lames tranchantes, en partie financée par le Fonds européen cyniquement appelé « de développement régional », à l’origine de dizaines de mutilés et de morts.

Malgré les actions du gouvernement marocain de refoulement en amont de la frontière, y compris de migrants qui voudraient s’enregistrer et demander l’asile, les tentatives de passages à hauts risques de la barrière continuent.  Selon les chiffres de la Guardia civil, en 2014, 2240 réfugiés subsahariens « clandestins » avaient réussi à sauter la barrière à Melilla.

Contrairement à la propagande des démagogues racistes qui veulent faire croire que les immigrés viennent profiter d’une vie meilleure en Europe, personne ne peut penser que quitter ses proches, risquer sa vie dans une traversée pleine d’embûches, endurer de telles souffrances pour souvent échouer dans un pays qui vous rejette, est un choix. Le chemin de l’exil est pour la plupart des réfugiés une obligation, la seule issue pour sauver sa vie quand sa région est ravagée par les guerres, soumise à la dictature ou que le sous-développement et la misère ne permettent plus d’y survivre.

C’est pourquoi, malgré tous les obstacles, les tragédies, le flot des migrants venus d’Afrique ne tarit pas et continue d’augmenter. « Une frontière fermée n’arrête pas un migrant qui a payé 5000 dollars et est prêt à risquer sa vie » explique François Gémenne, du Centre d’études et de recherches internationales sur les migrations. « A Ceuta et Melilla, une même personne peut tenter cinq, dix, cent fois le passage. L’ouverture ou la fermeture des frontières ne crée ni n’empêche les flux, mais accroît la prise de risque. »

Le drame permanent des morts en Méditerranée ou aux abords des frontières terrestres pourrait pourtant être évité. Il n’existe que parce que les frontières de l’Europe sont fermées, livrant les migrants aux trafiquants et passeurs sans scrupules dont le commerce est d’autant plus florissant que l’Europe-forteresse se referme.

 

L’explosion du nombre de réfugiés du Moyen-Orient

A l’accroissement du nombre des réfugiés venus d’Afrique s’est ajouté, depuis l’éclatement de la crise syrienne en 2011, celui des réfugiés du Moyen-Orient, Syriens et Irakiens qui fuient les destructions et le chaos générés par la dictature de Bachar el-Assad et les interventions de l’impérialisme occidental dans la région. L’arrivée de ces réfugiés aux portes de l’Europe confronte celle-ci à la crise migratoire et humanitaire la plus importante qu’elle ait connue depuis plus de trente ans.

Si le nombre des migrants a été en augmentation constante ces dernières années, il a connu une véritable explosion en 2015. L’été dernier, les médias nous ont montré ces milliers de réfugiés syriens, embarqués pour la plupart sur des bateaux pneumatiques depuis la Turquie, accostant sur les îles grecques de Kos et Lesbos principalement, mais aussi de Chios, Samos ou Leros, avec plus de 2000 arrivées par jour à Lesbos (selon l’ONG International Rescue Committee) et presque autant à Kos. L’engorgement des ferries pour le continent a contraint des milliers de réfugiés à s’entasser sur les plages, dans les rues, aidés et nourris grâce à la solidarité des habitants et des touristes. Ce sont aussi des centaines de milliers de réfugiés que l’on a vu affluer à pied par les voies terrestres à travers les Balkans pour gagner les pays de l’Europe occidentale, sans autre aide que celle de populations villageoises débordées.

En 2015, selon l’OIM, (l’Organisation internationale pour les migrants, proche de l’ONU), près de 500 000 personnes ont franchi la Méditerranée pour rejoindre l’Europe, cinq fois plus qu’en 2014. 234 778 sont arrivées en Grèce et 114 276 en Italie. Et c’est sans compter les millions de réfugiés retenus dans les camps surpeuplés des pays mitoyens de l’Europe comme la Turquie, le Liban ou la Jordanie, qui « accueillent » plus de 4,5 millions de réfugiés. Le Liban compte aujourd’hui sur son territoire un nombre de réfugiés égal au quart de sa population.

La Méditerranée est devenue la voie la plus mortelle du monde, devançant les eaux territoriales pourtant tristement célèbres de Birmanie, de Malaisie ou d’Indonésie. En 2014, les trois quarts des migrants qui sont morts en mer dans le monde ont péri en Méditerranée.

 

Mensonges et cynisme des autorités européennes

Aujourd’hui, les principaux dirigeants européens justifient le renforcement des contrôles aux frontières et en Méditerranée, avec la fermeture des anciennes voies d’accès et la destruction de nombreuses embarcations vétustes utilisées par les trafiquants, en expliquant que ces passeurs sans scrupules qui exploitent la détresse des migrants seraient les vrais responsables des drames en mer. La dernière mission « Sophia », coordonnée par Frontex dans les eaux internationales au large de la Lybie, assurerait selon un porte-parole européen « la lutte contre le trafic des passeurs en Méditerranée » et constituerait « l’une des dimensions de l’action visant à mettre un terme à la tragédie humaine à laquelle nous sommes confrontés ». Le cynisme des dirigeants européens ne peut masquer le fait que le sinistre commerce des passeurs prospère uniquement parce qu’ils renforcent les frontières, car les migrants ne recourraient pas aux trafics des passeurs s’ils pouvaient voyager de façon régulière.

Loin de mettre fin à la tragédie humaine en Méditerranée, la fuite en avant sécuritaire de l’Europe est un pas de plus dans la précarisation des conditions de passage pour les migrants, de plus en plus difficiles et risquées. Aucune mission officielle n’a comme objectif  le sauvetage des migrants, qui ne peuvent compter pour cela que sur les navires affrétés par des ONG. Les garde-côtes et les équipes de Frontex repêchent sans arrêt des migrants en détresse mais c’est pour ensuite les renvoyer d’où ils viennent, les livrer aux forces de police pour les placer en camps de rétention. 

Les voies terrestres qu’empruntent les flux de réfugiés syriens venant du Moyen-Orient ne sont pas moins meurtrières. En août 2015, 71 cadavres en décomposition étaient découverts dans un camion en Autriche. Et combiens d’autres retrouvés asphyxiés dans des camions ou containers, alors qu’ils tentaient de passer les frontières de l’Europe ? 

3770 migrants sont morts en 2015 aux portes de l’Europe, et 2016 pourrait bien dépasser ce triste record. Les réfugiés, quelles que soient les barrières qu’on leur impose, continuent d’affluer.  Car rien ne peut les empêcher de fuir leurs pays pour échapper à la mort.

 

Une responsabilité écrasante de l’impérialisme

Les guerres qui déchirent la Syrie, l’Irak, la Libye, l’Afghanistan, le Yémen, le Nigeria, la Somalie ou le Soudan poussent les populations à l’exil. Les réfugiés se déplacent pour l’essentiel dans leur propre pays, avant de gagner les Etats limitrophes. Seule une minorité tente de rejoindre l’Europe. C’est cette minorité que les pays de l’Union européenne refusent aujourd’hui d’accueillir, à laquelle ils ferment leurs frontières et dont ils sous-traitent la rétention avec les Etats des nombreux pays d’origine en Afrique ou limitrophes comme la Turquie. Ils sont pourtant les principaux responsables des situations qui ont mis le Moyen-Orient à feu et à sang, comme du sous-développement et des guerres sur le continent africain.

Si le Moyen-Orient n’est plus que champ de ruines, chaos économique et politique, si la déstabilisation de la région a engendré la monstruosité de l’Etat islamique, c’est bien l’impérialisme qui en porte l’entière responsabilité. Pillage des richesses pétrolières et autres matières premières, contrôle des régions stratégiques comme la Syrie… les grandes puissances n’ont, depuis la première guerre du Golfe en 1990-91, par leurs interventions directes ou les embargos dont les populations ont été les premières victimes, amené que ruine, instabilité politique, conflits internes en attisant les haines ethniques et religieuses, et drames humains. De même que les interventions militaires françaises en Centrafrique, en Côte d’Ivoire ou au Mali, pour des opérations de maintien de l’ordre et de soutien aux dictatures, les guerres sous-traitées ou co-organisées par les puissances impérialistes comme au Yémen, entretiennent l’instabilité et le chaos, et sont la cause des déplacements massifs de populations qui tentent de sauver leur vie. Certes, des dictatures sanglantes sont tombées, comme celle de Kadhafi en Lybie, mais là où les puissances impérialistes prétendaient apporter la démocratie et la paix et protéger les populations, ne règnent aujourd’hui que chaos politique et dévastations, pillages et exploitation des peuples, et les migrants continuent d’affluer aux portes de l’Europe.

 

Solidarité avec tous les migrants

Depuis plusieurs décennies, le plus gros contingent de migrants vers l’Europe reste celui que les gouvernements désignent comme les migrants « économiques », ceux qui ne relèvent pas de la convention de Genève de 1951 relative aux réfugiés des pays en guerre. Ils sont de plus en plus nombreux, affluant principalement du continent africain, du Maghreb et de l’Afrique sub-saharienne jusqu’au sud de l’Afrique.

Ces migrants dits « économiques » quittent un continent soumis aux nouveaux appétits de pays émergents comme la Chine et l’Inde, qui mènent une concurrence acharnée aux vieux impérialismes coloniaux pour un repartage de l’Afrique dans le cadre de la mondialisation. Pillages des richesses, nouveaux investissements des multinationales qui ruinent les économies locales, extorsions des terres aux petits paysans contraints à un exode massif, les pays d’Afrique sont maintenus dans le sous-développement au rythme de leur intégration forcée dans le marché mondialisé. L’impérialisme post-colonial continue par le pillage et l’exploitation de semer la misère, et pousse aux déplacements et à l’exil des millions de pauvres des villes et des campagnes, candidats aux passages périlleux vers des pays voisins plus cléments ou vers l’Europe.

Mais en Europe, ils ne sont pas les bienvenus. Selon le ministre de l’intérieur Cazeneuve, ils n’auraient « pas vocation à s’installer en Europe ». « L’UE a vocation à accueillir ceux qui fuient les persécutions et les conflits », pas ces migrants dits clandestins, indésirables, qui « ne fuient que la misère ». Le discours est partout le même. « Ceux qui viennent en Allemagne pour des raisons de détresse économique ne pourront pas rester en Allemagne. Aussi dure soit leur vie, c’est pourtant la vérité », a déclaré Angela Merkel. N’a-t-elle d’ailleurs pas récemment obtenu que soient déclarés « pays sûrs », dont les ressortissants ne peuvent prétendre à l’asile politique, tous les pays des Balkans et la Turquie elle-même ?

Réfugiés économiques ou politiques ? C’est oublier que ce sont les mêmes politiques dévastatrices de l’impérialisme qui engendrent à la fois les guerres et la misère. Nombre de réfugiés fuient les combats tout autant que la désolation et la ruine qu’ils engendrent. Il n’y a pas de « bons » et de « mauvais » migrants. Distinguer les migrants, c’est laisser croire que les migrants économiques qui fuient la misère et le dénuement de leurs pays, pillés par les multinationales capitalistes, pourraient mettre en péril l’économie de pays riches comme la France. Les gouvernements prennent prétexte du chômage massif pour justifier leur politique d’exclusion. Mais ce chômage est le résultat de la course capitaliste au profit, alors que des centaines de milliers d’emplois seraient nécessaires dans les écoles, les hôpitaux, les transports… La mise en concurrence des salariés natifs, immigrés, migrants ou sans-papiers est exploitée pour diviser, empêcher les solidarités de se construire ; elle renforce les préjugés réactionnaires et xénophobes et ne profite qu’au patronat.

La « crise migratoire » à laquelle l’Union européenne est confrontée s’inscrit dans le contexte mondial, plus large, de l’augmentation permanente du nombre de migrants dans le monde pour des raisons économiques, écologiques, politiques et sociales, qui est le produit de la mondialisation. L’accroissement des inégalités, l’accumulation des richesses vers les plus nantis, les conséquences du libéralisme sans frontières pour les marchandises et les capitaux, poussent des millions de personnes à s’exiler, d’abord dans leur propre pays puis dans les pays voisins et, enfin, plus loin là où ils espèrent trouver une vie meilleure. Aucune barrière, mur ou frontière ne peut les arrêter.

Pour en finir avec le drame humanitaire des réfugiés, il faut défendre l’accueil inconditionnel de tous les migrants, l’ouverture des frontières, la liberté de circulation et d’installation, la régularisation de tous les sans-papiers, la réquisition des logements vides. Mais aussi combattre les fauteurs de guerres, de crises et de misère en s’opposant aux interventions militaires et en luttant pour  l’annulation de la dette qui étrangle les peuples.

Des décennies seront sans doute nécessaires pour que les pays dévastés qui voient fuir leurs populations puissent sortir du sous-développement, reconstruire leur économie et la démocratie. Mais ils ne pourront pas compter sur les déclarations hypocrites et les prétendus plans d’aide au développement affichés par les puissances occidentales pour se dédouaner du pillage et de l’exploitation forcenée des peuples. Seule la solidarité d’une Europe des travailleurs et des peuples est à même de les y aider.

 

Christine Héraud