Ici même, 2014, 23 euros«Fatherland », la Yougoslavie, pays du père mais dessiné et raconté par sa fille depuis le Canada où, en un siècle, la famille aura fait de multiples aller-retour sans espoir d’un pays à l’autre. Seule la bande dessinée pouvait confronter l’exploitation capitaliste du Canada et le socialisme pas vraiment autogéré de Tito. Les illusions du « nouveau monde » et celle d’un « monde nouveau » dirigé par des partisans intègres, au début tout au moins.
Qui se rappelle Milovan Djilas, héros de la résistance antinazie et adjoint de Tito, révulsé par les privilèges de la bureaucratie du nouvel État et politiquement éliminé à la fin des années 50 ? La grand-mère de Nina, qui assurément se souvient aussi des luttes du nouvel État contre les « oustachis » croates et les « tchetnik » serbes, et d’un passé où le nationalisme, écrasé par la poigne du régime titiste, ne demandait qu’à resurgir.
Dans ce contexte, la quête de Nina pour retrouver le souvenir d’un père rallié au nationalisme et au terrorisme anticommuniste à la fin des années 60, ne peut que se confronter à la grande histoire. Nina est née au Canada, a vécu en Yougoslavie toute son adolescence grâce au retour au pays de « la mère » tandis que son père, resté au Canada avec le frère de Nina, se faisait exploser par la bombe qu’il préparait contre les « titistes » canadiens en 1977.
Venue de la peinture, Nina Bunjevac a vite compris que seule la narration dessinée pourrait faire vivre sa tragédie et celle de tout un peuple. Son récit est dense et robuste tandis que son graphisme rugit de grandes masses noires et de hachures rompues par un « pointillisme » qui évoque à s’y méprendre la raideur « socialiste » (bureaucratique). Le récit se clôt dans les années 80.L’auteure ramenée au Canada par sa mère nous prépare un ouvrage sur le déchirement des années 90. Nous l’attendons avec impatience.
Sylvain Chardon