Scénario J.D.Canales, dessin de Rubén Pellejero, d’après Hugo Pratt, Casterman, 2015, 15 euros. Acheter sur le site de la Brèche.
Renaissance ou trahison ? Difficile d’échapper à la publicité de Casterman sur le retour du « marin à la casquette » après plus de 20 ans d’absence. Difficile aussi de ne pas se plonger dans ce nouvel opus quand on a été fan ; comme au moins deux générations de lecteurs de BD de l’après 1968. Disons tout de suite que l’album se lit facilement... mais qu’il est difficile de supporter, dans un album qui se veut la continuation de la pensée et de l’esprit d’Hugo Pratt, un discours contre-révolutionnaire et sans humour à l’encontre de Robespierre !
C’est malheureusement le cas pour ce Sous le soleil de minuit, où un chef Inuit qui s’est révolté, à juste titre, contre la domination impérialiste britannique, est présenté, à preuve d’une guillotine installée dans la neige, comme un héritier de la « terreur révolutionnaire »... Rappelons aux repreneurs familiaux et auto-désignés de Corto Maltese ainsi qu’au scénariste qu’Hugo Pratt avait été décrié de son vivant par les mouvements réactionnaires catholiques et royalistes comme un franc-maçon révolutionnaire. Fermons le ban et revenons à la BD !
Le scénariste, aussi créateur de la série Blacksad, a choisi d’envoyer le célèbre marin en 1915 dans l’univers sauvage et glacé du grand nord canadien. Chronologiquement, Sous le soleil de minuit se déroule donc juste après la Ballade de la mer salée, mais introduit ou met en images des figures clés de la série (Raspoutine, Mahomey, etc.). Porteur d’une missive de Jack London pour une amie perdue de vue, Corto se retrouve à arpenter la toundra entre Alaska et Yukon pour dénicher la destinataire. Sur son chemin, il croise une multitude d’hommes et de femmes au moins aussi égarés que lui. L’or du Klondike a perdu de son éclat, mais il continue à faire rêver, et l’univers de Pratt y est respecté.
Le dessin de Ruben Pellejero ne déçoit pas, à l’inverse de bien d’autres reprises de BD, et la longue silhouette de Corto déchire toujours les cases, même si les brumes et le mystère qui devraient l’accompagner cèdent la place à une histoire de pétrole de schiste que se disputeraient les deux parties de la grande guerre, ainsi qu’à une sombre histoire de « bordel » dans lequel évolue la vieille amie de Corto et de Jack London.
De la déception donc, mais le sentiment que l’équipe Canales/Pellejero peut faire beaucoup mieux. À suivre...
Sylvain Chardon