Publié le Mercredi 5 mai 2021 à 12h21.

Ceux qui brûlent, de Nicolas Dehghani

Éditions Sarbacane, 192 pages, 24 euros

Une ville « américaine » poisseuse qui suinte l’ennui et la misère. Deux flics : une fille qui croit ou tente de croire en son horoscope et un grand dadais qui ne croit pas du tout en lui. Une équipe improbable pour une enquête qui commence dans le fond d’une poubelle. Un corps brûlé à l’acide de la tête aux pieds. Une secte sataniste à l’ésotérisme de pacotille mais aux méthodes très « hard ». Le polar est de retour !

De drôles de « durs à cuire » pour un polar « hard-boiled »1

Alex est une jeune femme flic du genre énervée, plus ou moins sur la touche, qui garde encore des espoirs au sujet de sa carrière. Au commissariat, elle doit « toucher » un nouveau partenaire pour faire équipe. Distraite, en traversant la rue, elle consulte son horoscope dans un magazine. Celui-ci lui promet un « évènement frappant » qui survient tout de suite. En effet, son journal est propulsé en l’air par le choc d’un scooter. Ni le conducteur ni elle-même ne sont gravement blessés mais de la part d’un flic ça tombe mal. Alex s’interroge sur ce signe qui précède la présentation de son nouveau collègue : André Pouilloux. Ce dernier à une réputation de « couillon » au bavardage inaltérable et sans intérêt, ce qu’il manifeste immédiatement devant leur chef au cours d’une séance de débriefing du crime. Un cadavre a été retrouvé dans une poubelle collective, brûlé à l’acide sur la totalité du corps, visage compris et une oreille en moins. A-t-il été recouvert d’acide post-mortem ou a-t-il été victime de torture ? La police scientifique a déjà tout ratissé en vain mais le chef leur confie néanmoins la mission de passer une nouvelle fois au peigne fin la poubelle. Alex est furieuse d’être reléguée au rang d’éboueur mais Pouilloux positive et ne se prive pas de conjectures et de petites blagues assommantes. La fouille ne donne rien sinon la découverte par Pouilloux d’un clochard local. Ce dernier offre finalement un début de piste qui conduit le couple, sans mandat, dans un bouge où se démènent quelques illuminés. Le grand échalas dadais qui joue sans cesse à contre-pied ouvre néanmoins des pistes qui ne correspondent pas à son mantra cinématographique tiré du visionnage répété de l’Inspecteur Harry2 : « L’homme sage est celui qui connait ses limites ». Si Pouilloux met un peu d’humour dans une situation sordide, son personnage se révèlera très vite beaucoup plus sombre et tragique que suggéré. De fil en aiguille, le duo improbable retrouve le collectionneur d’oreilles ainsi que les illuminés ésotériques sous fond de violence et d’usine sacrificielle désaffectée. Tout ne finira pas bien mais nous n’en dirons pas plus…

Des innovations graphiques au service d’une ambiance

Nicolas Dehghani est un jeune auteur breton qui a œuvré dans le milieu de l’animation et de l’illustration avant de se lancer dans cette première BD en auteur complet (scénario et dessin). Il reste prudent dans le déroulé du scénario et cherche surtout à renouveler le genre par des innovations graphiques dans le dessin et les ambiances qu’il met en scène.

Petit regret, Thomas Dehghani travaille beaucoup le graphisme en CAO et/ou tablette. En conséquence, les bulles de dialogue présentent toujours le même arrondi et toujours les mêmes caractères et centrages ce qui affaiblit le rythme des scènes trash.

Le vrai plus graphique de cet album réside dans le découpage audacieux et la maîtrise des clairs-obscurs indispensables à l’ambiance. Le découpage original permet également des à-plats à l’aérographe et en demi-teinte qui renforce l’aspect unique de cette première BD. À découvrir !

  • 1. L’expression « hard-boiled », initialement utilisée pour qualifier des œufs durs, est associée pour les polars à l’expression de « dur à cuire ». En BD, Tyler Cross en constitue le modèle inégalé.
  • 2. Inspecteur Harry est une célèbre série de films policiers de et avec Clint Eastwood.