Publié le Mardi 3 juin 2014 à 08h00.

Chanson française : Rémo Gary, la révolte en chantant

Il y avait foule en octobre dernier au théâtre de Bourg-en-Bresse pour célébrer le départ à la retraite du chanteur Rémo Gary. Il publie ces jours-ci un nouvel album.

La retraite se dit en espagnol la Jubilación !, et c’est ce nom que Gary avait d’ailleurs donné à cet événement, en pleine bagarre contre la « réforme » Ayrault ! Il avait convié plus d’une vingtaine de ses amis, ses marraines Francesca Solleville et Anne Sylvestre, mais aussi Michèle Bernard, Véronique Pestel... Lunaire et précis, sur scène, entre deux chansons, il assurait la présentation ; il y fut donc question de luttes et de Besancenot, des poètes et de l’amitié. Avant de clôturer ce bel après-midi  en entonnant à l’unisson de la salle la « Marseillaise » du chanteur Gaston Couté (1880-1911) : « Et, seule guerre nécessaire / Faisons la guerre au Capital, / Puisque son or : soleil du mal / Ne fait germer que la misère ».

Colère et espéranceCette révolte se retrouve, intacte, dans l’album qui paraît ces jours-ci : Idées reçues (1). Il démontre ainsi, par l’exemple, dans ce disque, que la colère et l’espérance ne se disent pas seulement dans des slogans, mais parfois se jouent des mots et se dégagent des formules toutes faites, rouillées et immobiles. Gary prévient : « J’aime les idées reçues / Seulement je n’en reçois plus assez / Plus assez […] / J’aime bien les lieux communs / Seulement j’n’en croise plus bien / Plus beaucoup / Plus de bourse du travail / Les bourses n’ont rien qui vaillent ». S’il y a la tristesse, bien réelle, celle provoquée par la disparition des amis (« Nous qu’on n’est pas déjà morts » dédiée au chanteur Allain Leprest), par les défaites politiques, il n’est pas question de s’y résoudre. L’enjeu est bien de « […] faire quelque chose avec la tristesse », des chansons par exemple. Ces dernières saluent les fleurs des révolutions, les amours qui durent, l’érotisme, la mémoire des luttes ouvrières. Elles bâtissent ainsi comme un Panthéon des opprimés, où Lorca rime avec Guevara, Maïakovski avec Bouazizi. Et si l’on peut discuter la présence de quelques-uns, on retiendra qu’au loin des commémorations pieuses, il y est question d’« être / ce que ceux-là / voulaient pour nous ». À l’écoute, on songe à Mahmoud Darwich pour qui : « En poésie, on ne réplique pas à une voix extérieure tonitruante par une voix de même volume ». Délicates et fraternelles, les chansons de Gary (accompagné pour la musique de C. Bressat-Blum et J. Clément) répliquent à leur façon aux discours assourdissants du monde capitaliste. Le résultat peut paraître dérisoire aux experts-comptables des rapports de forces. Car ce n’est pas là qu’il agit. Gary n’écrit pas tant en militant, ce qu’il est par ailleurs, mais avant tout en camarade : il s’adresse à celles et ceux que ce monde insupporte et qui se réchauffent au contact des luttes, des complots amoureux, à la mémoire de l’histoire passée et à l’espoir de celle à venir. Il est précieux qu’il y ait encore des artistes pour se soucier de créer de tels « lieux communs ».

Olivier Neveux1 – http ://www.remogary.com