Publié le Mardi 5 juin 2012 à 13h00.

Cinéma. L’élevage s’élève contre le puçage

Le film Mouton 2.0. La puce à l’oreille, d’Antoine Costa et de Florian Pourchi (Synaps collectif visuel), dénonce l’industrialisation à outrance de la viande et ses dérives. C’est le dernier avatar de l’industrialisation des animaux : identifier chaque animal, savoir de quel élevage il provient, ce qu’il a mangé durant chaque seconde de sa vie. Son puçage par ce gadget qu’on appelle RFID (Radio fréquence identification) est en train de se généraliser pour chaque être vivant. Fini le temps des pâturages tranquilles, de l’estive, des bergers qui couraient la montagne. Les industriels de « la production animale » comme préfère les nommer Jocelyn Porcher, ancienne éleveuse et aujourd’hui penseuse de la cause animale, veulent plus de rentabilité, de contrôle. Les éleveurs de la Drôme ou des Alpes-de-Haute-Provence eux, souhaitent perpétuer une relation entre l’homme et son troupeau. Ils ne sont pas sur le déclin, certains sont même très jeunes et fiers de produire de la viande de qualité, provenant de bêtes qui mangent encore de l’herbe. Le contraste est saisissant quand on voit ces fameuses vaches à hublot qu’un chercheur malicieux de l’Inra prête à l’écran. On le voit enfourner sa main dans la panse de la vache et en retirer une mixture chaude comme s’il accomplissait un geste de chirurgien.

Il y a bien un monde entre ces messieurs des instituts de l’élevage, des chambres d’agriculture, cette fameuse cage d’acier qui entoure le paysan et celui d’ hommes et de femmes ayant choisi de cultiver la campagne, d’élever des animaux et comme des parents aimants de leur prodiguer des soins homéopathiques. Ces paysans connaissent leur métier, leur terre mais aussi savent leur légitimité. En face d’eux la loi des consortiums et des grosses sociétés alimentaires épaulées par des entreprises éprises de nouvelles technologies comme le pôle de traçabilité de Valence qui commercialise des puces RFID et dont le patron nous explique les aspects commerciaux novateurs. Dans la montagne, les bergers poussent leur troupeau, renouent avec des peurs ancestrales, guident des bêtes sur des pentes abruptes. À Reillanne ou Vachères-en-Quint, des éleveurs disent leur opposition à la technocratie. Ces combats contre la vaccination ovine, la fièvre catharale et maintenant le puçage ne font la une d’aucun grand magazine. Les régimes minceur et l’épilation du maillot remplacent la tonte. Mieux vaut ne rien savoir sur l’origine des merguez qu’on va griller cet été, sauf à connaître leur origine en cas de pandémie. Comme le dit cet éleveur de Limans, traçabilité ne veut pas dire qualité. Il s’agit juste pour la filière viande de faire croire qu’on peut élever des animaux sans les traiter comme des êtres vivants, savoir repérer un lot quand il est défectueux, et l’éliminer comme ce fut le cas pour la vache folle.

Ils font peur ces chercheurs avec leur mine réjouie quand ils expliquent que, pucés, les ovins peuvent être détectés dès leurs premières chaleurs pour être inséminés. On ne perd pas une minute. Sitôt le désir naît chez la brebis qu’elle est repérée pour servir de reproductrice. À l’Inra, on travaille main dans la main avec l’industriel prêt à commercialiser le prototype conçu.

Ces éleveurs sont tellement à part dans ce monde vendu à la marchandise qu’ils sont juste un collectif sans nom, sans syndicat. Ils ne viennent d’aucun parti. Ils veulent rester maîtres de leur vie et de leur activité comme Antoine de Ruffray ou Alain Guibert. Derrière cela, il y a cette société qui veut concentrer les bêtes dans du béton, rendre l’animal viande avant que d’avoir vécu.

Christophe Goby