En 1999, la création et les représentations de Rwanda 94, un spectacle de la troupe belge Le Groupov, furent un événement. Un coffret DVD rassemble désormais la pièce et un certain nombre de documents (1).
Tout commence en avril 1994. Le metteur en scène Jacques Delcuvellerie découvre à la télévision des images du Rwanda. Il ne se satisfait pas des discours télévisuels et politiques, plus ou moins discrètement racistes, et de la bouillie qui tient le plus souvent lieu d’analyse, et décide de comprendre. En 1999, il présente une première version de Rwanda 94 au festival d’Avignon. Le spectacle tournera jusqu’en 2005, avec des représentations au Rwanda en 2004.
La pièce débute par le témoignage d’une rescapée, Yolande Mugakasana : « Je ne suis pas une actrice », prévient-elle avant de déplier l’horreur de ce qu’elle a vécu. Puis la « fiction » théâtrale peut commencer : une journaliste Bee Bee Bee voit son émission consacrée au Rwanda interrompue par des fantômes qui surgissent au moment où elle prononce le mot de « tragédie ». Au Rwanda, il n’y eut pas de tragédie (avec ce que cela suppose de fatalité et d’impuissance) mais un génocide, c’est-à-dire un processus politique d’extermination. Bee Bee Bee s’engage alors dans un long parcours initiatique pour comprendre.
Durant près de six heures, mobilisant une multitude de formes et de dispositifs (théâtre documentaire, agit-prop, conférence, projections, oratorio, musique, etc.), Rwanda 94 s’attache à rendre intelligible ce que les médias et la diplomatie française se sont acharnés à rendre opaque et indéchiffrable. Le point de vue est matérialiste, l’orientation anti-impérialiste. Dès lors, le spectacle met en lumière les responsabilités (des États belges et français, notamment), décrit l’enchaînement des faits, repère les processus idéologiques à l’œuvre. La pièce, passionnante, s’adresse à l’intelligence de son spectateur : il est fait le pari que lui aussi veut comprendre. Et la pensée qui naît, alors, s’appuie sur les émotions du spectacle tout autant qu’elle en produit de singulières. Le coffret est complété de deux films de Marie-France Collard, Rwanda. À travers nous, l’humanité…, revient sur les rescapés du génocide, dix ans plus tard, à l’occasion des représentations au Rwanda de la pièce. Bruxelles – Kigali suit le procès d’un génocidaire réfugié en Belgique à partir d’images d’archives mais aussi du procès lui-même.
Comme son sous-titre l’indique, Rwanda 94 est une « tentative de réparation symbolique envers les morts, à l’usage des vivants ». La pièce réussit, en effet, le tour de force d’être simultanément une grande œuvre, un document rare et une puissante intervention politique « à l’usage des vivants ».
Olivier Neveux