Le label anglais Mr Bongo a l’excellente idée de ressortir cet album indispensable du trop méconnu musicien brésilien Tom Zé.
« Lorsque les artistes créent, ils le font pour s’élever de la masse. Moi, je crée pour essayer d’atteindre le même niveau que la masse », dit celui qui, né dans une région miséreuse du Nordeste et après une enfance où il se trouvait trop chétif par rapport à ses camarades de classe, s’est émancipé par un apprentissage inattendu et rigoureux de la musique savante.
« Étudier la samba »
C’est ainsi que, s’engageant dans un art satirique et politique, il deviendra un des artisans, avec Caetano Veloso et Gilberto Gil, du mouvement tropicaliste, apparu au Brésil en réaction au coup d’État militaire de 1964 et à la dictature qui a suivi. Ce mouvement culturel, qui se proclamait anti-impérialiste et internationaliste, s’est construit dans sa branche musicale par un mélange entre la tradition des formes et l’avant-gardisme des arrangements. Paradoxalement, Zé ne sera pas, comme ses deux complices, envoyé en prison puis en exil en Europe, leur permettant ainsi de débuter des carrières internationales à succès. Lui, de loin le plus radical dans l’envie d’exploser les formats et de se frotter à la musique classique contemporaine, sera tout simplement censuré et plongé dans l’oubli pendant de longues années avant de réapparaître timidement dans les années 1990, redécouvert et popularisé par un David Byrne en quête de nouveaux sons du monde.
« Étudier la samba », comme l’annonce le titre de cet album enregistré en 1976, c’est pour Tom Zé en même temps redécouvrir ce style traditionnel populaire en analysant ses composantes complexes, et déconstruire littéralement celles-ci, rythmiquement mais aussi en jouant à détourner les instruments de leurs rôles prédestinés. Ils sont ainsi quelquefois amenés à échanger leurs places habituelles ou à transformer leurs timbres, dans une symphonie bruitiste et vocale collective et généreuse 1. Ce sont des guitares acoustiques qui, sans artifice, parviennent à jouer des thèmes aussi imparables que des riffs de Deep Purple. Ce sont des chœurs répétitifs, alambiqués ou réduits à des onomatopées, comme autant de ritournelles au plaisir d’écoute immédiat, qui répondent à des chants mélodiques le plus souvent emprunts de cette douceur propre aux chansons brésiliennes.
Car, comme pour nous prouver qu’il n’est absolument pas question de renverser le passé, nous est proposée dès les premières minutes une reprise du standard de Antônio Carlos Jobim et Vinicius de Moraes A felicidade, ingénieusement réinventée mais respectueuse, belle tout simplement.
Ce disque rare et précieux avait été celui choisi par David Byrne comme base à la compilation qui avait largement contribué à sortir de l’oubli son génial auteur. Espérons que cette première réédition fidèle – au côté d’autres raretés désormais disponibles à prix réduit – permettra de continuer le travail.
Benjamin Croizy
1 – Cette notion de construction/ déconstruction atteindra son paroxysme conceptuel en 2001 avec le très ludique Jogos de Armar, comprenant un CD bonus avec tous les éléments audio de l’album original en fichiers isolés, permettant à l’auditeurE/ musicienE à ses heures de jouer à en faire sa propre version, fidèle ou non.