Publié le Dimanche 16 décembre 2012 à 17h46.

Edward Abbey et les premiers pas du combat écologique

Par Henri Clément

Edward Abbey est l’une des grandes figures de la littérature underground étatsunienne, qui puise son inspiration dans les grands espaces désertiques et la nécessité de les préserver face aux dégâts irrémédiables que leur cause la société industrielle. Avec les mots, il mène le même combat que le héros de son roman, un vieil homme que l’on veut contraindre à quitter son ranch pour des raisons supérieures de défense nationale. Son petit-fils, qui vient passer ses vacances d’été dans cet univers spartiate sans électricité ni eau courante, va assister à l’affrontement. C’est à travers son regard que nous découvrons la vie frugale de l’éleveur, les superbes paysages de désert et de montagnes, et l’inexorable avancée de la société industrielle.

Publié en 1962 aux États-Unis, le roman n’a pas pris une ride. Son propos fait écho à la mobilisation contre l’extension du camp du Larzac, bien sûr, mais aussi aux luttes actuelles contre les grands projets inutiles1. Car il ne s’agit pas seulement de la lutte d’un rancher borné et acariâtre contre la raison d’état, mais aussi des premiers pas de la lutte écologique contemporaine. Abbey renoue le fil d’un rapport à la nature développé dès le 19e siècle par Thoreau, sans sombrer dans les représentations new age qui se développèrent en même temps que le mouvement hippie : « Est-ce que cette terre t’appartient vraiment ? Est-elle vraiment à toi ? A qui appartient la terre ? Il y a cent ans, elle appartenait aux Apaches, et rien qu’à eux. Ton père et d’autres comme lui la leur ont volée. La compagnie de chemin de fer et les grosses entreprises d’élevage et les banques ont essayé ensuite de la voler à ton père et à toi. Aujourd’hui, c’est le gouvernement qui va te la voler. Ce pays a toujours été infesté de voleurs. »

Indissolublement, la lutte pour la préservation de la nature nécessite l’affrontement avec la logique capitaliste, celle des trusts et des barons voleurs. John Vogelin est le représentant d’une époque révolue, où l’individu pouvait organiser sa vie en marge de la société de consommation, encore empreinte de la mythologie du ranch et de la frontière. Les romans suivants s’attacheront à dépeindre la lutte en pratique, ce sera le Gang de la clef à molette ! O

1. Sur ce sujet, voir le dossier « Grands projets imbéciles : la convergence des luttes en Europe » publié dans TEAN Hebdo, n° 158 du 19 juillet 2012.

Le Feu sur la montagne,  Edward Abbey, collection Noire, Gallmeister, 2008, 225 pages, 22,40 euros. http://www.la-breche.com/