Un film de Pablo Trapero.
Avec Guillermo Francella, Peter Lanzani et Lili Popovich.
Sortie le mercredi 10 février 2016.
Après la chute de la junte militaire argentine, en 1983, nombre d’anciens sbires de la dictature se sont reconvertis dans le gangstérisme. Le cas d’Arquimedes Puccio a fait grand bruit à l’époque. Cet ex-membre des services secrets avait monté une sorte de gang familial spécialisé dans le kidnapping de riches hommes d’affaires. Il a pu agir en toute impunité pendant quelques années grâce aux complicités dont il bénéficiait dans l’appareil d’État, qui lui devait bien ça, mais n’a pas su s’arrêter à temps. Ses anciens supérieurs n’ont pas pu continuer à le couvrir. Enlèvements, séquestrations, meurtres, tortures, Puccio n’avait fait que de continuer à pratiquer à titre privé des crimes qu’il commettait auparavant pour le compte de ses patrons galonnés. On peut même dire qu’il avait reconstitué à son échelle une sorte de dictature de clan à l’image de celle qui avait mis le pays en coupe réglée pendant sept ans.
L’interprétation du personnage par le comédien Guillermo Francella est fascinante. Comme bien des criminels fascistes, Puccio a deux visages : cynique et cruel face à ses victimes, paternel et affectueux pour ses proches. Partisan convaincu de la manière forte et bigot, il trouve même, comme les généraux, des justifications idéologies à ses actes : protéger les siens. Le comportement de sa famille évoque aussi par certains aspects celui de la bourgeoisie argentine : respect devant une autorité dont on tire des privilèges appréciables, silence et complicité un peu gênée.
Trapero insiste assez peu sur le passé du personnage, de sorte que les spectateurs européens qui connaissent mal cette période sanglante de l’histoire latino-américaine n’ont pas toutes les clés pour en comprendre les ressorts. En Argentine, où ce film remporte un succès considérable, tout rappel était inutile.
Avec ce thriller politique haletant, Pablo Trapero nous livre donc à nouveau un tableau des aspects les plus sombres de l’Argentine. Rappelons qu’il est aussi le réalisateur de Carancho qui dénonce l’insuffisance du système de santé et les avocats rapaces qui s’engraissent sur le dos des victimes d’accidents, et de Elephante blanco, consacré à la lutte des habitants d’un gigantesque bidonville. Le cinéma politico-social argentin n’a pas fini de nous surprendre par sa vigueur et son originalité.
Gérard Delteil