De Maurice Rajsfus. Le Cherche-Midi, 2014, 19,50 euros
Toujours étonnant de prendre la mesure de l’énergie, voire de l’imagination, que peut déployer un gouvernement pour interdire aux médias de faire connaître, même à minima, la réalité de situations extrêmes comme les guerres. C’est ce que s’est employé à faire Maurice Rajsfus sur la période 1914-1918 en France.Ce qui frappe d’abord, c’est l’ampleur des ressources humaines mobilisées : plus d’un millier de censeurs se partagent les 21 régions militaires dans lesquelles ont été constituées 385 commissions de contrôle. Il faut dire que tout y passe : presse quotidienne, hebdomadaire, brochures tracts, affiches, courrier des soldats et même annonces personnelles, affiches et publicités (les « réclames »). Dans le même temps, les mobilisations ouvrières notamment de femmes dans les usines d’armement sont évidemment la cible des censeurs. Et, pour faire bonne mesure, la censure frappe au cinéma, au théâtre, les chansons populaires et les cabarets.Si la censure ratisse large, elle vise surtout à interdire toute information sur les engagements militaires et toute remise en cause de la solidarité nationale, vite assimilée au défaitisme, voire à la trahison. Ce qui vaudra aux animateurs du quotidien le Bonnet rouge d’être « suicidé » en prison pour l’un et d’être fusillé le 17 juillet 1918 pour l’autre. En conclusion de ce travail en profondeur, Maurice Rajsfus montre comment le contrôle de la presse, la censure, ne sont jamais complètement absents, même en période « calme », et « qu’il faut se méfier du censeur qui dort sous les oripeaux du héraut des institutions républicaines », comme le montrera en 1939, la chambre des députés élue sous le Front populaire ou comme cela sera de nouveau le cas au moment des « événements » d’Algérie. Un livre utile donc et d’actualité, au moment où Valls et Hollande tentent d’empêcher l’expression du soutien au peuple palestinien au nom, entre autres, de l’unité nationale...
Robert Pelletier