Publié le Mercredi 4 octobre 2017 à 20h24.

Essai : Russie/URSS/Russie (1917-1991)

De Moshe Lewin, Coédition M Éditeur, Page 2 et Syllepse, 300 p., 20 euros. 

Ce livre est un recueil de huit textes de Moshe Lewin qui couvrent l’histoire de l’URSS, de la révolution de 1917 jusqu’à son effondrement au début des années 1990. 

Cette histoire, Moshe Lewin la connaît très concrètement. Né en Lituanie en 1921, réfugié en URSS pendant la Seconde Guerre mondiale, il combat dans l’Armée rouge. Après la guerre, il vit en Pologne, en France, puis en Israël, qu’il quitte pour s’installer définitivement en France. Il meurt à Paris en 2010. Il a publié plusieurs livres sur la révolution et l’URSS en particulier le Dernier Combat de Lénine (­Syllepse et Page 2, 2015 (première parution : 1967).  

L’URSS dans l’histoire

Ce recueil se propose, et c’est son grand mérite, d’aborder la question de l’URSS en la replaçant dans l’histoire et non comme un phénomène isolé. Le fait de tout focaliser sur Octobre 1917 et la révolution victorieuse dirigée par le Parti bolchevique, ainsi que cela se passe le plus souvent à l’occasion du centenaire d’Octobre 1917, n’est pas sans conséquences, qu’elles soient ou non intentionnelles. Cela tend en effet à établir une équation pour le moins simpliste et mensongère : la révolution = l’URSS. Du prétendu coup d’État au régime totalitaire, il y aurait une continuité, et Lénine n’aurait fait que précéder Staline. 

Un brutal raccourci et des contre-vérités qui sont à la base de toute la propagande anticommuniste. Combattre cette dernière, c’est décrire et comprendre l’histoire des événements, les enchaînements et les ruptures, « les continuités et discontinuités », l’origine de la révolution, la révolution elle-même, son évolution, sa dégénérescence, la formation du stalinisme puis du « totalitarisme bureaucratique ». Ce  « système barbare construit sur les ruines d’un grand idéal émancipateur» comme Moshe Lewin définit l’URSS après la contre-révolution stalinienne, a une histoire. Il a évolué. Rien n’était écrit. C’est tout au long de cette histoire qu’a eu lieu l’accumulation des contradictions internes qui a abouti à l’effondrement d’un régime et d’un pouvoir « archaïques et fossilisés » incapables de faire face à l’évolution de la société et du monde. 

Une autre issue était possible, comme Trotski l’envisageait dans la Révolution trahie en 1938, celle d’une nouvelle montée révolutionnaire, non seulement en URSS mais en Europe, en Asie et dans le monde, qui permette au prolétariat de reprendre le contrôle démocratique de la société. « La question sera tranchée en définitive par la lutte de deux forces vives sur les terrains national et international » écrivait-il alors. 

Se réapproprier l’histoire

Moshe Lewin décrit les immenses difficultés auxquelles a dû se mesurer la révolution, après celles de la guerre, les immenses destructions et pertes de la guerre civile soutenue par les puissances impérialistes, l’« archaïsation », dit-il, la désindustrialisation, l’effondrement des deux capitales, les morts, la désintégration sociale… Il souligne le poids de la paysannerie, dans un immense pays qui n’avait pas connu de révolution bourgeoise, et son corollaire : le chauvinisme grand-russe hérité du tsarisme qui fut un des instruments idéologiques de la bureaucratie avec l’antisémitisme. Au début des années 1920, Lénine dénonce en Staline un des représentants de ce chauvinisme. Ce dernier, au lendemain de 1945, célébrera la « grande et sainte Russie ».

Ceux qui ont voulu voir le socialisme et la pensée de Marx dans le stalinisme et ses suites, même sous la forme du « socialisme réellement existant », sont, pour Moshe Lewin, disqualifiés : « Le socialisme, comme idéal visant à plus de démocratie et à une éthique sociale exigeante, n’a, en tant que système, jamais existé où que ce soit » écrit-il.

Il faut concevoir « l’histoire comme enjeu », écrit Denis Paillard dans une introduction soulignant l’insistance de Moshe Lewin à propos de l’importance de se réapproprier le passé : « L’histoire est un remède qui doit permettre de recouvrer une identité et un avenir. » Cela est particulièrement vrai face aux monstrueuses caricatures du communisme produites par ceux-là même qui prétendaient s’en revendiquer, pour le plus grand bénéfice de ceux qui le combattaient. Une invitation qui définit une part importante de notre combat politique aujourd’hui, nous réapproprier notre histoire, la signification et la portée du trotskisme, pour ­préparer l’avenir. 

Yvan Lemaître