Publié le Mercredi 20 juillet 2011 à 10h55.

Expo Claude Cahun : les paris restent ouverts

À Paris, le Jeu de Paume* présente jusqu’au 25 septembre une large sélection des photographies de Claude Cahun, illustrant à la fois la « subversion des genres » et l’usage révolutionnaire de « l’action indirecte » dont cette artiste surréaliste fut une pionnière. Révélée au public quarante ans après sa mort par une exposition au musée d’Art moderne de Paris, l’œuvre photographique de Claude Cahun (1894-1954) subsiste à travers un peu plus de 400 vues (dont le Jeu de Paume présente aujourd’hui le tiers), le reste ayant disparu lors des perquisitions et des pillages de sa maison de Jersey, tandis qu’elle-même et sa compagne Suzanne Malherbe (1892-1972) croupissaient, dix mois durant, dans les geôles nazies. Rien ne résume mieux ces deux personnalités que les actes de résistance individuelle spontanée qui leur avaient valu d’être condamnées à mort et qui feraient écrire plus tard à Claude Cahun : « Si le fascisme, pour tous les soi-­disant “anti”, avait été combattu (par chacun à son poste et selon ses moyens) du même cœur sans compromis, du même esprit sans double fond… tous les impérialismes de l’après-guerre eussent été impossibles ». Cette indépendance qui les avait retenues d’adhérer à plus que l’Association des écrivains et artistes révolutionnaires, puis à Contre-Attaque avec leurs amis surréalistes, les détourna aussi de tout carriérisme littéraire, artistique ou militant. Pour son éditeur et biographe F. Leperlier, également commissaire de cette exposition, Claude Cahun fut « la seule femme photographe surréaliste » par la tonalité de ses œuvres, mais il serait abusif d’en faire l’emblème des revendications homo­sexuelles d’aujourd’hui, très éloignées du « genre neutre » dont elle se réclamait aussi bien par le nom qu’elle s’était choisi que dans ses écrits, certainement plus importants pour elle. Née Lucy Schwob, il ne lui était pas indifférent d’être la nièce de l’auteur du Roi au masque d’or, des Vies imaginaires et du Livre de Monelle, « admirable manifeste libertaire » selon André Breton. À peine avait-elle connu Marcel Schwob (1867-1905) tôt disparu, mais toute son enfance et sa jeunesse furent imprégnées de ses textes et de sa légende, dont la trace reste visible dans ses publications principales (Vues et visions, 1919, Aveux non avenus, 1930). Son influence ne percerait-elle pas encore dans les masques des photographies où Claude Cahun se mettait en scène ? Quoi qu’il en soit, ses œuvres visuelles ne peuvent s’apprécier hors de ses écrits et de sa vie même, dont le parcours de l’exposition tient le plus grand compte. Une des clés, non la seule, mais une des principales, réside dans la section « poésie et politique », rappelant comment Claude Cahun, dans son pamphlet Les Paris sont ouverts (1934), ridiculisait Aragon et la poésie de propagande, préfigurait ce qu’écriraient Breton et Trotsky dans leur Manifeste pour un art indépendant (1938), et définissait « l’action indirecte » comme « la seule efficace, et du point de vue de la propagande, et du point de vue de la poésie ». « Il s’agit de mettre en marche et de laisser en panne. Ça oblige le lecteur à faire tout seul un pas de plus qu’il ne voudrait. On a soigneusement bloqué toutes les sorties, mais la porte d’entrée, on lui laisse le soin de l’ouvrir. Laisser à désirer , dit Breton ». « Érotique voilée », répondent les photographies de Claude Cahun, et si elles fascinent tant aujourd’hui, c’est bien que les paris restent ouverts.

Gilles Bounoure* 1, place de la Concorde, Paris 8e