Publié le Mardi 14 février 2012 à 20h00.

Expo : « Gaston Fébus, Prince Soleil » d’or et de sang

Au musée national du Moyen Âge (Paris, jusqu’au 5 mars), puis au musée national du château de Pau (17 mars-17 juin), une centaine d’objets précieux évoquent l’auteur grippe-sou et colérique du fastueux Livre de la Chasse, « despote éclairé » du XIVe siècle. Sous les traits de Jean-Claude Drouot, le Gaston Fébus d’Antenne 2 (1978-1979) n’était-il pas un nouveau Thierry la Fronde, situé lui aussi par l’ORTF (1963-1966) à l’époque de la Peste noire et des premières décennies de la Guerre de cent ans ? Le Gaston historique (1331-1391) au centre de cette exposition fut moins héroïque. Comte de Foix et vicomte de Béarn à 12 ans, il eut pour principale habileté de ne s’allier ni avec le roi d’Angleterre ni avec celui de France, qui gardait pourtant une partie de ses domaines sous séquestre, de tenir à distance de ses forteresses routiers et mercenaires pillards, d’encourager le transit par ses routes et péages des objets de luxe continuant en ces temps de misères à circuler entre l’Europe du Nord et l’Italie, et d’arrondir sans cesse le trésor qu’il stockait dans le donjon de son château d’Orthez, établissant un « État tout parfait », selon son panégyriste Froissart (c. 1337-c. 1405) qui lui a consacré un quart de ses Chroniques.

« Pingre » autant que « flamboyant », comme dit le bon catalogue de l’exposition, Gaston iii de Foix était ce qu’on appelle aujourd’hui un « réaliste » (même si les réformateurs « nominalistes » qui ont pu l’inspirer, tel Nicolas Oresme, s’élevaient contre un « réalisme  plus ancien ». Sa fortune bâtie sur les rançons de grands seigneurs capturés dans son jeune âge, puis sur les convois de marchandises qu’il protégeait, ne l’empêchait pas sur le tard de sa vie de percevoir 30 000 francs (300 000 journées d’un ouvrier du bâtiment) pour avoir hébergé quelques années sa cousine Jeanne de Boulogne, avant de la marier à 12 ans au sexagénaire Jean de Berry. Mais Froissart présent à sa cour en 1388, durant la rédaction du Livre de la chasse, l’entend dire : « Je suis un petit homme et un povre bachelier… un povre chevalier que je suis, qui édifie villes et chastels ». Sa sourcilleuse politique fiscale et monétaire lui fit imiter la monnaie de Florence, le dollar de l’époque, et accumuler plus de 700 000 florins. Il put ainsi employer Jean de Toulouse, l’un des meilleurs enlumineurs d’Avignon, à l’illustration de son Livre de la chasse, fleuron de l’exposition, pour l’offrir à un autre puissant, son parent Philippe le Hardi duc de Bourgogne.

Si ce Livre de la chasse fut admiré en son temps et reste l’un des sommets de l’art médiéval tardif, il le doit surtout au naturalisme de son texte et de ses illustrations, autre versant du réalisme bourgeois animant le gouvernement de Fébus. Il ne se réservait pas seulement le privilège de battre monnaie, mais aussi celui de verser le sang, pour les ours, lynx et autres animaux de vénerie qu’il décrit par le menu, comme pour les humains dont il ne dit mot, les 6 000 paysans révoltés qu’il contribua à massacrer en juin 1358 à Meaux, ou son propre fils qu’il tua dans un coup de colère en 1385... Cette exposition, qui ne cache pas ces aspects noirs, mais qu’on aurait souhaitée plus ample et explicative à Paris (transcrire les chartes exposées n’eût pas été de trop), permet d’approcher ce tournant décisif de l’histoire occidentale où grande féodalité et capitalisme naissant se rapprochent, toujours sur fond sang et or.

Gilles Bounoure