Ce que le public de la coupe du monde de rugby n’a pu apprendre de la Nouvelle-Zélande et de ses premiers habitants, tel est le sujet d’une belle exposition présentée jusqu’au 22 janvier à Paris, par le principal musée néo-zélandais dévolu aux arts maori. Admirez, écoutez ces haka ! Et oubliez que là-bas, football, cricket et rugby furent d’abord des moyens de conquête, activités de patronage qu’imposaient les missionnaires pour meubler leurs dimanches avec interdiction de rien faire d’autre, compétitions qu’organisaient les autorités coloniales pour familiariser les sauvages avec les crampons, les chaussettes et les arbitres, mais surtout canaliser leurs envies d’en découdre. Les voilà qui triomphent à ce sport de Blancs ? Rien d’inquiétant, ce n’est qu’un jeu, ça n’empêche qu’on les a bien eus jadis, leurs terres, leur mode de vie et tout le reste. Quand ils prétendent relever la tête en dehors des stades, c’est moins amusant, et c’est ce qui fait parler des blessures des joueurs ou des particularités du nouveau ballon officiel plutôt que des Maori d’aujourd’hui, moins de 15 % des quelque 4 millions d’habitants du pays, dont près de la moitié se disant métis (recensement de 2006) et une forte proportion de gens pauvres, désorientés ou révoltés mieux observée par les sociologues que par les statisticiens.
Entièrement organisée par le Te Papa Tongarewa de Wellington, le principal des musées néo-zélandais d’art maori, l’exposition accueillie à Paris par le musée du quai Branly a de multiples intérêts. Sa scénographie habile rend la visite agréable comme jamais auparavant dans ce lieu si mal conçu. Sans prétendre être complète et faisant même l’impasse sur certains aspects essentiels de la vie traditionnelle maori (rien de moins que l’agriculture ou les conflits entre villages fortifiés, les pa, où se développa l’art des haka), elle offre néanmoins un échantillonnage très significatif et bien choisi des divers arts d’avant la colonisation, sculpture, architecture, construction navale, tatouage, autres ornements corporels, textiles, etc., écrasant par son nombre et sa qualité les dix-neuf objets d’art maori relégués au fin fond des « collections permanentes » du musée du quai Branly. S’affranchissant de la pruderie de nombre d’expositions passées, elle montre aussi ce qu’avaient de vigoureusement sexuel ces arts et ces traditions, avant qu’arbitres et missionnaires n’imposent shorts, robes et maillots.
Un autre de ses intérêts, et non le moindre, est de refléter certains des compromis actuels entre les autorités politiques et culturelles néo-zélandaises et les communautés maori revigorées par leurs luttes récentes pour la reconquête de leurs droits, de leurs terres et de leur culture. Les 507 jours d’occupation de Bastion Point, en 1977-1978, aboutissant plus tard à la restitution de ce territoire, l’exposition évoque utilement ce combat et le souvenir qui en subsiste. Elle gomme les mensonges du traité de Waitangi (1840), arrachant leurs terres aux tribus maori et les condamnant plus tard à des guerres terribles, mais insiste avec raison sur les efforts qui ont assuré la survie et l’enseignement de la langue maori, redevenue d’usage courant en Nouvelle-Zélande. Quant à l’avenir de ses locuteurs depuis si longtemps minoritaires, elle suggère aussi qu’il passe par une voie étroite, difficile, qui n’est ni celle du folklore ni celle du rugby, mais évidemment celle des luttes sociales et culturelles.
Gilles Bounoure