Ce qu’a fait Miró pour « détruire tout ce qui existe en peinture » est bien connu, beaucoup moins ce qu’il a entrepris d’analogue dans le domaine de la sculpture, et que met aujourd’hui en lumière la belle exposition « Miró sculpteur » du musée Maillol.
Un ensemble aussi large (101 sculptures, 22 céramiques et une vingtaine d’autres œuvres provenant pour la plupart de la fondation Maeght) n’avait pas été présenté à Paris depuis 1974, entre les murs sans jour du musée d’Art moderne. Les fenêtres du musée Maillol dispensent ce qu’il faut de lumière naturelle à ces sculptures qui datent pour la plupart du dernier quart de la vie de Miró (1893-1983). C’est que le bronze restait cher. Bien plus anciennes, les premières sculptures-objets de l’artiste catalan témoignent de la misère enjouée de sa période parisienne, entre 1920 et l’arrivée des nazis qui lui fit regagner une Espagne certes franquiste mais un peu moins dangereuse. Portrait d’une danseuse, plume retenue par une épingle à chapeau sur fond blanc (1928), Table à moustache, porte de placard supportant plume, personnages peints et petite tablette animée de ficelles (1931), sont les plus célèbres. Avec les peintures sur papier de verre, les collages de cordes et autres « peintures collages », elles définissent l’esprit de recherche surréaliste resté à l’œuvre dans ses sculptures de bronze plus tardives. Peu représentative de cet ensemble, l’effigie féminine aux formes et aux couleurs provocantes choisie pour l’annonce de l’exposition est, avec les céramiques, l’unique pièce à recourir de façon si directe aux moyens de la peinture. Là n’était pas ce qui intéressait principalement Miró dans la sculpture, cherchant bien plutôt à s’y servir des objets les plus communs, cartons, embauchoirs, caisses en bois, « comme en peinture des taches du papier et des accidents de la toile » avant de guetter avec le même plaisir anxieux les surprises de l’assemblage et les révélations de la fonte, dont le bronze serait la plupart du temps laissé nu, à peine verni ou légèrement oxydé. À côté du souvenir d’un grand-père forgeron qu’il prolongeait ainsi, on observe combien il s’est attaché à approfondir les procédés d’invention surréaliste, tel le frottage découvert par Ernst en 1925. Aux créations ou plutôt aux créatures qui en résultaient avec assez d’imprévu, il a souvent donné le titre, non pas de « femmes », comme indique l’exposition, mais de « dames » (done), ainsi qu’elles apparaissent et qu’on les nomme dans les contes de fées. « Il y a un MIROir dans le nom de Miró », cet alexandrin est de Prévert. Mais qu’est-ce qu’un miroir ? « Une machine qui met les choses en relief loin d’elles-mêmes », répondait à Diderot l’aveugle-né du Puiseaux. On croirait volontiers que Miró en a déduit le principe de ses sculptures, faisant à la fois surgir à distance des objets en relief et rendant réversible le passage des choses solides à leurs reflets. Diderot se récriait quand le même aveugle ajoutait : « Un miroir est une machine qui nous met en relief hors de nous-mêmes », pensant peut-être à d’autres sortes de machines, les miroirs magiques, le miroir noir de l’Aztèque Moctezuma conservé à Paris, ou celui qui permit à Alice de s’aventurer De l’autre côté du miroir. C’est en tout cas ce qui rend les miroirs de bronze de Miró si accueillants aux regards et aux rêves qui les traversent.
Gilles Bounoure« Miró sculpteur », Musée Maillol, 61 rue de Grenelle, 75007 Paris, jusqu’au 31 juillet.