Publié le Lundi 16 avril 2012 à 10h41.

Expo. Paris romantique, côté théâtre et côté rue

Comme le met en lumière (jusqu’au 15 juillet) le musée de la Vie romantique, « Paris a été la capitale internationale du théâtre » une bonne partie du xixe siècle, avec un public populaire impatient plus qu’ailleurs de devenir acteur de sa propre histoire.Concurremment au musée de l’Opéra de Paris, le musée Carnavalet conserve de riches collections dévolues aux spectacles parisiens, et J.-M. Bruson, conservateur ayant fait toute sa carrière dans les murs de la marquise de Sévigné, en a extrait plus d’une centaine de pièces formant cette nouvelle exposition du musée de la Vie romantique, qu’il accompagne d’un livre-catalogue du même titre, Théâtres romantiques à Paris, abondamment illustré et documenté, avec bibliographie et index. Il y est question des théâtres et autres lieux de spectacles, de leur personnel, directeurs, auteurs, acteurs, chanteurs et chanteuses lyriques, mimes, architectes, décorateurs, mais aussi des chroniqueurs dramatiques (Gautier, Janin et maints autres) et des dessinateurs de presse chargés de croquer sur le vif les artistes qui brûlaient alors les planches. L’ambiance plaira aux admirateurs des Enfants du paradis.

Durant cette période, bourgeois des loges et ouvriers des poulaillers se virent proposer une profusion quasi permanente de spectacles pour la plupart oubliés aujourd’hui, mais marquant par exemple la « naissance du ballet romantique » où la danse sur pointe et « l’exaltationde la figure féminine » eurent « pour contrecoup l’éviction presque totale du danseur, réduit au rôle de faire-valoir ». Ces performances s’accompagnaient souvent d’innovations dans la décoration et la machinerie théâtrales, à l’instar des toiles transparentes inventées par Daguerre et de l’éclairage au gaz introduit en 1822. Les théâtres n’en prenaient pas moins feu, et les historiens semblent en peine de situer l’emplacement de toutes les scènes parisiennes de l’époque, du fait de leur nombre, de leurs fréquents déménagements, réaménagements ou changements de dénomination ou d’activité, qui ne résultaient pas tous d’événements spécifiquement théâtraux, « fours », « tabacs » ou incendies, mais parfois aussi de décisions politiques.

Ainsi Louis-Philippe interdit Le roi s’amuse de Victor Hugo dès sa première représentation en novembre 1832, « l’ouvrage pouvant donner lieu à des démonstrations bruyantes et anarchiques » susceptibles de rappeler l’insurrection républicaine matée six mois plus tôt, et Thiers l’interdit en 1873 pour les mêmes raisons, craignant tout ce qui pouvait évoquer peu ou prou la Commune. La liberté des théâtres instituée en 1791 avait été sévèrement amputée sous le premier Empire, n’autorisant que huit théâtres et fixant très précisément les genres permis dans les autres salles de spectacle, mais « l’imagination et l’adresse dont faisaient preuve directeurs, auteurs et acteurs pour contourner les règlements permettaient malgré tout de monter des spectacles variés et très fréquentés », tels ceux du mime Deburau, la parole étant interdite sur la scène du théâtre des Funambules. Il est significatif que Marx, grand amateur de spectacles durant son séjour parisien, se soit référé au théâtre et au génial Frédérick Lemaître pour qualifier Louis-Philippe de « Robert Macaire sur le trône », faisant sien ce qui se disait dans la rue et qui vaut encore pour nombre de personnages politiques actuels, le présent occupant de l’Élysée en premier lieu.

Gilles Bounoure