Publié le Mardi 12 juin 2012 à 12h44.

Expos : Coalescence et dissolution du cubisme

En 1912, les peintres Gleizes et Metzinger publiaient Du ‘cubisme’, manifeste de la tendance nouvelle qu’ils avaient rejointe. Le musée de la Poste marque ce centenaire par une belle exposition montrant ce qui a rapproché puis éloigné ces deux artistes.

Apollinaire l’a relaté, « le nom de cubisme a été trouvé par le peintre Henri Matisse, qui le prononça à propos d’un tableau de Picasso. Les premiers tableaux cubistes que l’on ait vus dans une exposition étaient l’ouvrage de Georges Braque. J’ai l’honneur d’avoir le premier servi de modèle à un peintre cubiste, Jean Metzinger, pour un portrait qui fut exposé en 1910 au Salon des indépendants. » Il y eut ainsi deux cubismes, le premier s’élaborant presque en secret sur les toiles de Picasso et de Braque, d’abord visibles des seuls happy few, et ce qu’on dénomma vite le cubisme de Salon, prenant forme en 1911 puis avec l’exposition de « la Section d’Or » en 1912, juste avant la publication du manifeste précité. Le plus jeune de ses signataires, Metzinger (1883-1956), exposait ses œuvres depuis une décennie, irritant le public (d’après Apollinaire) par « ses rapides passages dans différentes écoles », tandis que le plus âgé, Albert Gleizes (1881-1953), tard venu à la peinture, allait s’ériger avec la foi du néophyte en doctrinaire du cubisme et de sa « métaphysique », terme aussi adopté par Chirico à la même époque.

Pourtant, dès mai 1914, Apollinaire annonçait dans Paris-Journal la « séparation » de ces peintres « qui depuis quelques années s’en allaient de concert dans la vie. […] Dernièrement, chez l’éditeur Figuière, devant le grand portrait exposé par Gleizes au Salon d’automne, devant une nature morte de Metzinger, les deux artistes ont juré de ne plus avoir rien de commun. Ainsi va la vie. Tout lasse, tout passe, tout casse. » C’est cette différence de tempéraments et même de vues sur l’art qu’éclaire à merveille l’exposition du musée de la Poste* en mettant en regard l’œuvre bien connue de Gleizes et celle de Metzinger, jamais exposée à Paris depuis sa mort, donnant à vérifier ce qu’en disait voilà un siècle le même Apollinaire : « aucun jeune peintre n’a connu autant d’injustices que Jean Metzinger, [qui] s’exerce aux choses les plus difficiles de la peinture [et] dont l’art est le plus varié et le plus constamment renouvelé. »

Si l’attrait principal de l’exposition est de révéler comment Metzinger, après s’être rapproché de Dada et de Picabia, a laissé derrière lui le cubisme un peu à la façon de Picasso et pour des raisons analogues, elle n’oublie pas de rappeler ce qu’il y eut d’enthousiasme créatif durant ces brèves années cubistes chez des génies comme Kupka, Duchamp-Villon ou Archipenko. Quant à Gleizes, ce qu’on y voit de son évolution n’est pas moins instructif. Ses principes généreux mais dogmatiques, pacifisme, naturisme, anticapitalisme, antimachinisme, le conduisirent, selon son meilleur biographe, à se définir à la fois « pour et contre le xxe siècle » et sa « métaphysique » cubiste ne tarda pas à se dissoudre dans le symbolisme religieux. L’Occupation vit Gleizes (captivé par la « révolution nazie » en 1933) participer au pétainiste Comité national du folklore tandis que Metzinger se consacrait à la poésie… « Du cubisme et après », s’intitule justement cette belle exposition.

Gilles Bounoure* 34 boulevard de Vaugirard, Paris 15e, jusqu’au 22 septembre, exposition visible à nouveau au musée de Lodève de juin à novembre 2013.