Avec près de 400 œuvres de « singuliers de l’art » du monde entier, sélection à voir (absolument) avant le 22 août, la Halle Saint-Pierre fête à Paris les 25 ans de la revue Raw Vision, qui a contribué à la reconnaissance de ce pan des arts visuels.
«25 ans d’art brut », annonce l’affiche de l’exposition. On y verra pourtant certaines œuvres dont les créateurs sont disparus depuis plus que cela, Aloïse (1886-1964), Darger (1892-1973), Madge Gill (1882-1961), Kennedy (1825-1899), Lesage (1876-1954), etc. Quoique déjà connus, Raw Vision n’a cessé de s’y intéresser, tout en faisant découvrir des centaines d’artistes contemporains qui leur sont comparables à un titre ou un autre. Lequel ? L’« art brut », ou « outsider », ou populaire, ou naïf, ou « intuitif » ? Autant de dénominations fragiles et controversées, soit récemment soit depuis des lustres. Alors vaut-il mieux appeler ces créateurs des irréguliers, des marginaux, des francs-tireurs, des autodidactes, voire des fous, comme il était d’usage jadis ? Se contenter de dire qu’ils ne sont « pas dans les clous » ne règle pas tout, puisque certains s’y trouvent aujourd’hui, par le biais du marché de l’art en particulier.
« La fin d’un mythe ? »On ne se plaindra pas de l’extraordinaire diversité d’expressions offerte par les 80 créateurs morts ou vivants réunis à la Halle Saint-Pierre (sur quoi se seraient-ils entendus en assemblée générale, on s’interroge un peu), tant elle console de l’affligeante monotonie de l’art « conceptuel » qui conserve les faveurs du marché et des institutions officielles (là unanimité, pas de discussions sauf pour le pognon). Mais dans ce domaine si longtemps ignoré, l’argent est également arrivé. C’est aux États-Unis que Raw Vision, d’abord trilingue, artisanal et de parution très irrégulière, a trouvé le lectorat et l’argent nécessaires à ses livraisons trimestrielles richement illustrées. Là-bas, selon John Maizels, créateur et principal animateur de cette revue, « collectionner de l’art brut peut conférer prestige et influence », attitude qu’il relie à un patriotisme friand d’art populaire, mais dont il n’ignore pas non plus les conséquences marchandes.Section de l’American Folk Art Fair devenue indépendante en 1993, l’Outsider Art Fair de New York (20 $ l’entrée) réunit désormais tous les ans les principaux marchands du secteur… et a choisi cet automne, pour « sa première exportation à l’étranger », Paris, ou plutôt un hôtel proche des Champs-Élysées. « Art outsider, la fin d’un mythe ? », s’interroge dans le catalogue Laurent Danchin, grand spécialiste du sujet et correspondant de Raw Vision pour la France. Depuis que ces expressions artistiques inclassables ont commencé à intéresser les investisseurs et que le commerce en est devenu mondial, l’art « hors normes », selon son expression, ne va-t-il pas disparaître en rentrant précisément dans les normes, celles de l’art contemporain et de son marché ? « Si vous êtes convaincu que l’expression compulsive et intuitive est un phénomène humain naturel, vous savez qu’il ne n’arrêtera jamais », observe J. Maizels, donnant là son sens le meilleur à cette exposition.
Gilles Bounoure
« Raw Vision. 25 ans d’art brut », jusqu’au 22 août 2014, Halle Saint-Pierre, 2 rue Ronsard, Paris 18e.