Publié le Lundi 14 avril 2025 à 12h26.

Gramsci et la lutte décoloniale

Le 25 mars dernier, à la librairie La Brèche, en compagnie de Yohann Douet, auteur de «L’hégémonie et la révolution» (2023), nous avons abordé les idées principales de l’intellectuel et homme politique italien.

Quelle résonance a aujourd’hui le travail de Gramsci avec la lutte décoloniale ? Comment penser la subalternité, à la fois sous le prisme de l’oppression, mais aussi de son hégémonie ? Comment contextualiser la pensée gramsciste à notre époque, et dans un cadre anti-impérialiste ?

Le Nord et le Sud de l’Italie

La première partie de l’échange a pris la forme de « questions-réponses », et nous avons notamment cherché à savoir comment articuler la question de la subalternité dans un contexte décolonial. Nous avons ainsi pu discuter des obstacles qui empêchent les différents groupes sociaux de mettre en place une forme d’alliance « subalterne » qui permettrait leur émancipation. Scission entre pays occidentaux/non occidentaux, entre ville et campagne, entre immigréEs et non immigréEs, Gramsci nous a permis de discuter de ces réalités grâce au parallèle entre le Nord et le Sud de l’Italie de son époque. En effet, Hourya Bentouhami Molino, dans son article « De Gramsci à Fanon, un marxisme décentré » (2014) parle de la « racisation des masses paysannes du sud par l’imposition idéologique de frontières intérieures (au sein même de l’Italie) qui divisent le peuple en deux et font du Mezzogiorno une question à part entière ».

Yohann Douet a également pu rebondir sur ce comparatif en expliquant que les classes dominantes de l’Italie du 20e siècle étaient « principalement issues du Nord », ce qui impliquait une domination à la fois économique et politique des populations du Sud. S’ajoute à cela une domination culturelle qui venait même jusqu’à pousser les Italiens du Nord à considérer ceux du Sud comme « inférieur biologiquement et intellectuellement ». Gramsci parle ainsi d’une colonie d’exploitation produite par la bourgeoisie septentrionale.

Bien que le rapport colonial au sein de l’Italie demeure modéré comparé à celui produit en Afrique par exemple, cette analogie permet d’expliciter en quoi les phénomènes de racisation sont sociaux.

Construction d’un sens commun

Un autre thème de l’échange portait sur une vision plus critique, plus contemporaine du gramscisme, avec des interrogations sur la manière dont les réseaux sociaux peuvent jouer positif ou négatif dans la construction d’une hégémonie subalterne et d’un sens commun.

Yohann pointait déjà dans son travail un problème « d’autonomie relative liés aux plateformes capitalistes » ainsi qu’au « conditionnement liées à leur logique algorithmique », et le problème des « prises de paroles contradictoires des individus » qui rendaient difficiles « l’élaboration collective d'idéologies cohérentes ».

Les concepts gramscistes d’hégémonie, de sens commun et d'intellectuels organiques ont tout particulièrement été abordés au cours de la discussion avec le public, afin de comprendre comment les mobiliser dans des luttes peut-être plus actuelles, et plus éloignées de l’Italie du temps de Gramsci.

Sarah